Depuis un mois et mon arrivée en Bulgarie, je profitais d’un ensoleillement total qui aura duré jusqu’aux premiers jours d’automne. La situation se dégrade soudainement au moment où j’échoue à Plav, à la sortie des Monts maudits. La semaine à venir s’annonce très mauvaise; un élément qui déterminera la suite à donner à mes aventures.
Il reste trois treks balkaniques majeurs au programme, tous situés dans les Alpes dinariques et nécessitant une semaine de marche: un dans l’arrière-pays bosniaque, les deux autres sur la côte, au Monténégro et en Croatie. Octobre arrive; la logique voudrait que je donne la priorité au territoire entrant le plus vite dans l’hiver, c’est-à-dire la Bosnie, avec ses montagnes élevées et son climat continental; je repiquerais ensuite vers la Croatie, puis reviendrais au Monténégro. D’ailleurs, le départ de la randonnée bosniaque, le mont Maglic, est assez proche de Plav.
Malgré tout, j’opte pour l’ordre Monténégro-Bosnie-Croatie, pour trois raisons: premièrement, le mauvais temps va durer toute la semaine, et d’expérience, je préfère le subir sur la côte que dans les terres; secondement, je n’ai plus que deux frontières problématiques à franchir, et non pas trois s’il me faut revenir à terme au Monténégro; troisièmement, mieux vaut finir ma course en Croatie, où de nombreuses randonnées secondaires me permettront de prolonger le plaisir jusqu’en novembre, et d’où il est facile de circuler dans une Union européenne dont ce pays fait partie.
L’avenir validera mon choix. Le temps s’améliorera au moment où je m’attaquerai à la Bosnie. En Croatie, outre le massif du Velebit, j’aurai l’occasion de profiter de l’été indien pour visiter le parc du Biokovo, quatre îles dalmates et trois des plus belles villes des Balkans: Zagreb, Split et surtout Dubrovnik. Enfin la semaine d’intempéries ne pourrira pas vraiment mon trek monténégrin, dans des montagnes basses et côtières que les nuages ne couvent que partiellement.
Tous les sites météorologiques annoncent cinq ou six jours calamiteux avant le retour du soleil. Si je file direct à Bar, port où démarre le trek monténégrin, j’arriverai avant le beau temps dans sa meilleure section, les bouches de Kotor. Mieux vaut patienter deux jours de plus ; l’occasion de rallonger le trek des Monts maudits, dans les massifs secondaires du nord de Plav.
Ce faisant je fais mes premiers pas sur une célèbre randonnée au long cours dont Plav est la ville d’arrivée classique : la Via Dinarica, qui traverse toutes les Alpes dinariques, de la Slovénie au Monténégro.
L’ultime panneau indicateur de la Via Dinarica, aux abords de Plav.
Pendant deux jours, je vais suivre à contresens un tracé dont j’arpenterai ultérieurement les deux sections les plus mythiques, en Bosnie puis en Croatie.
En rouge, la remontée des 35 derniers kilomètres de la Via Dinarica
Croyant profiter d’une accalmie matinale trop courte, je quitte Plav pour le mont Glava. Après 1200 mètres d’ascension chaotique, la pluie et le brouillard, de plus en plus impitoyables, ont raison de ma volonté. Bien qu’il soit à peine midi, j’envisage déjà de planter ma tente au bord du proche hameau de Katun Mramorje. C’est alors que la Providence me sourit: ledit hameau regroupe en fait une demi-douzaine de refuges non-gardés! Un homme sans âge les entretient, et passé l’effet de surprise, me propose de m’installer dans l’un d’eux, pour une demi-journée à me réchauffer au bord du poele en écoutant le déchaînement du tonnerre.
Au refuge de Katun Mramorje
Les pentes ennuagées du massif du mont Glava
Au-delà d’un toilette sec isolé…
…un hameau paradisiaque, pris au soir…
…et au matin…
…son gestionnaire m’attribue une maison…
…plus que confortable…
…non sans me couper assez de bois pour la nuit!
A l’aube, miracle: Le ciel est dégagé! Sachant la situation éphémère, je décolle à toute vitesse, direction le sommet du massif, le mont Bandera, haut de 2200 mètres.
Autour du mont Bandera
Le mont pris à l’aube
Des hauteurs…
…vue sur la vallée de Plav, prise dans les nuages…
…à l’horizon, les Monts maudits…
…et à leur droite…
…le mont Velji…
…dont je m’approche sur une sente bien vague
Les quinze kilomètres suivants, la montagne s’affaisse lentement vers Andrijevica, village d’arrivée du trek.
Baroud final
Le sentier imbibé d’eau…
…me permet d’observer le lointain picTrorogi…
…et le plus proche mont Platno
De ses pentes…
…plutôt chaotiques…
…vue sur la vallée du Lim
Alors que le ciel se couvre…
…je quitte la crête…
…pour un raidillon boisé…
…longeant des étangs…
…et des fermettes délabrées…
…jusqu’au village d’Andrijevica
Andrijevica n’est pas desservi par les transports locaux, malgré des indications trompeuses sur internet. Un taxi me dépose dans la ville voisine de Berane, d’où des minibus réguliers rallient Podgorica en trois bonnes heures, dans ce pays minuscule mais truffé de gorges impénétrables. Il en faudra deux de plus, dans un minibus aussi improbable, pour accéder à la côte monténégrine, théâtre du prochain trek.