J’imaginais que la Bosnie était sortie unifiée et homogène de sa guerre d’indépendance, que les frontières territoriales établies en 1995 avaient épousé la réalité ethno-religieuse. Quelle n’est donc pas ma surprise de découvrir à Kalinovik un village affichant drapeaux serbes et symboles orthodoxes! Je me trouve en fait dans une des enclaves formant l’entité autonome de la République serbe de Bosnie. C’est d’ailleurs ici-même qu’est né le commandant Mladić, commandant en chef des forces serbes durant la guerre! Au nord, le massif de la Treskavica, que je vais traverser, fait frontière entre Bosniaques et Serbes et a été le théâtre de nombreux affrontements; en témoigneront divers monuments, cimetières, bâtiments en ruines, camps militaires désaffectés… et même des champs de mines toujours pas désamorcées!
En rouge, ma traversée du massif ensanglanté de la Treskavica
Malgré son importance stratégique durant la guerre, Kalinovik n’est qu’un gros village, pauvre et délabré mais doté d’un hôtel confortable à la gloire de Vladimir Poutine, probablement l’un des derniers soutiens des Serbes de Bosnie depuis leur défaite et leur mise en minorité. J’y trouve un toit opportun pour ne pas subir l’orage nocturne.
Kalinovik
Au pied du massif de la Treskavica…
…un village de quelques centaines d’âmes…
…entouré, à l’ouest, de petites collines, l’une couronnée d’une église, l’autre d’un fort en ruine…
…et au nord d’une montagne calcaire
A l’entrée du village, un monument en hommage à Mladić, emprisonné à vie pour crimes de guerre
Autour du village, de nombreux hameaux…
…et plusieurs terrains militaires à l’abandon…
Comme d’habitude dans les Balkans, la campagne est jonchée d’ordures…
…mais somme toute très belle!
Après une mise en jambe champêtre, je prend de la hauteur en opérant une large boucle autour de la cime de Kutski Grad.
Perspectives sur Kutski Grad
Au milieu de nulle part, je croise Sonia et Thomas, un couple de quinquagénaires suisses rayonnants.
Tout comme moi, ils marchent depuis le déconfinement et arrivent à pied de leur pays, après avoir traversé une bonne partie des Alpes et les trois-quarts de la Via Dinarica. Je n’ai pas vu de randonneurs depuis un mois, et pas parlé français depuis deux; rarement j’aurais autant savouré une simple discussion, et eux aussi apparemment, bien que nous devions l’écourter, des bourrasques de plus en plus glaciales nous forçant à reprendre la marche.
Aux plaisirs de la camaraderie succèdent ceux de la solitude, dans un plateau calcaire immense, dépouillé et aussi fascinant que ceux de l’avant-veille.
Les hautes-terres de la Treskavica
Presque aussi charmante est la vallée boisée dans laquelle je finis la journée, le long d’une piste à peine carrossable.
Les forêts automnales de la vallée de la Vrhovinska
Nous sommes à la frontière des territoires serbes et bosniaques, ce que nous rappellent de réguliers monuments aux morts.
Un monument aux morts bosniaque, à la liste si fournie qu’il me rappelle ceux de la guerre 14-18 en Bretagne
Plutôt que de suivre les lacets de la route, je pourrai dévaler tout droit à travers les bois; des panneaux glaçants m’en dissuadent, qui signalent la persistance dans les parages de mines antipersonnelles.
Au crépuscule, j’échoue dans le village de Ljuta, celui-là bien bosniaque. Rudement touché durant la guerre, il semble presque inhabité
Le monument aux morts et la mosquée de Ljuta
Son principal bâtiment, salle municipale ou école plus ou moins à l’abandon, est ouvert; je m’y installe pour la nuit, dans une ambiance un peu lugubre.
Les sites météorologiques annonçaient un très mauvais temps au cinquième jour de marche, et malheureusement ils visaient juste. Sous une pluie matinale naissante, j’avale au trot la dizaine de kilomètres qui me sépare du village de Tušila, doté d’un refuge étonamment ouvert où je passe la journée et la nuit au chaud, berçé par mon dernier orage bosniaque.
Les quatre derniers jours, plus une goutte ne perturbera ma progression. Au premier d’entre eux, le ciel est encore couvert, ce qui ne me prive pas d’ajouter au parcours de la Via Dinarica d’un crochet inopiné à destination du mont Vito.
Autour du mont Vito
Quittant le val boisé de Tušila…
…je file vers le premier sommet…
…d’une barre rocheuse qui en compte plusieurs
Au sortir d’un dernier bois…
…j’attaque une pente nue…
…puis une crête brumeuse…
…qui se dévoile bientôt dans toute son étendue
A ma droite, le cirque tourbeux de Subar…
…et la vallée de Tušila
A gauche de l’arête, une percée dans les nuages m’offre un premier aperçu sur un canyon dont j’avais sous-estimé la profondeur sur les cartes d’opencyclemap.
J’ai affaire à mon prochain objectif majeur: les gorges de la Rakitnica.