Un train, un taxi, une nuit à l’aéroport, deux avions, un second taxi, trois heures de bus et de longues plages d’attente intermédiaires: cela fait une trentaine d’heures qu’Ivonig et moi voyageons lorsque enfin surgit devant nous, au soleil couchant, le village d’Ouranoupoli. C’est ici qu’un bateau doit nous embarquer, au petit matin, vers Simonopetra, premier monastère de notre marathon, que nous atteindrons presque deux jours après notre départ de Bretagne. La Montagne sainte est un endroit qui se mérite !
Nous avons la chance de faire halte à Ouranoupoli le jour même de la fête annuelle du village. Un banquet est en préparation au pied de la tour byzantine de Prosphori ; nous prenons notre seul bain du séjour sur la plage adjacente, puis rejoignons les convives. Durant le festin, des Grecs vêtus de costumes traditionnels exécutent des danses au son du bouzouki. De nombreuses femmes sont présentes ; nous n’en verrons plus de la semaine. Même si l’ambiance joyeuse dans laquelle baigne la bourgade est communicative, la fatigue accumulée après une nuit quasi-blanche à l’aéroport et une journée de transit nous rattrape durant la digestion, et nous filons bien vite au lit.
Le village d’Ouranoupoli
Notre lieu de baignade
La fête au village…
Sous la protection de la tour de Prosphori
Nous nous réveillons avec de la marge, histoire d’obtenir au plus vite notre diamonitirion et nos places de bateaux. Première contrariété du séjour, et pas des moindres : le moteur de la navette que nous désirons prendre est cassé depuis quelques jours. Notre trajet est annulé. Aucun autre bateau ne se rend ce jour-là à Simonopetra, et pire encore, le seul de la matinée qui n’est pas encore parti pour Daphni, d’où nous pourrions rejoindre Simonopetra à pied, est déjà complet. A court de solution, nous voilà en train d’envisager le report notre départ au jour suivant, ce qui implique l’abdication de notre objectif, à savoir rallier les vingt monastères, mission impossible en six jours seulement. La frustration est grande ! Nous luttons tout de même sans y croire avec les gérants de l’agence maritime, quand miracle, ils acceptent de faire du surbooking et de nous embarquer avec quelques autres pèlerins sur la dernière navette déjà pleine, où nous nous serrons comme des sardines, le sourire aux lèvres.
L’embarcation démarre à l’heure et parvient plus vite à Daphni que l’aurait fait notre bateau initial s’il avait été en état. A peine débarqués, nous filons à travers la petite foule s’agitant sur les quais, prêts à nous lancer dans la montagne vers Simonopetra, quand nous apprenons par hasard qu’un bateau va bientôt partir, qui joint Daphni à la Grande Laure en passant par le monastère que nous visons. La routourne tourne, comme dirait l’autre.
Nous sautons dans ledit bateau. Il met du temps à s’élancer et traîne en route, si bien que c’est avec deux heures de retard sur l’horaire prévu la veille que nous débarquons dans l’arsanas de Simonopetra (un arsanas étant le port d’un monastère qui n’est pas construit en bord de mer). C’en est terminé, croyons-nous, de notre lutte dans les transports de toute sorte, la suite ne dépend plus que de nous-mêmes !
Le trajet accidenté vers l’arsanas de Simonopetra
L’embarcadère d’Ouranoupoli
Notre navette surchargée passe au large du monastère de Dochiariou
Le port de Daphni où nous faisons escale
Le moment où le monastère Simonopetra apparaît dans la montagne ; en bas à droite, son arsanas
Vue sur l’arsanas depuis le ponton
Simonopetra et son arsanas
Le débarcadère où nous posons pied est prolongé d’une belle tour médiévale. L’endroit est pittoresque, la végétation luxuriante et la silhouette de Simonopetra se détache dans les hauteurs, majestueuse. Nous sommes déjà saisis par l’atmosphère, et notre exaltation devient pure euphorie dès que nous foulons les premières tronçons, splendides, du chemin pavé qui mènent au monastère. Les émotions vécues à cet instant sont encore aujourd’hui, les plus vives que nous avons ressenti au cours de nos pérégrinations.
Le parcours de l’après-midi
Nous devons refréner toutefois notre humeur contemplative. Nous avons perdu deux heures sur l’ordre du jour que j’avais planifié, et il nous faut avoir atteint le monastère de Dionysiou avant les vêpres. Un timing quasi-intenable, qui nous contraint à grimper à toute allure le sentier menant au monastère de Simonopetra.
Le chemin pavé montant au monastère de Simonopetra
Premiers tronçons du kalderimi
La première partie, dans une forêt…
…dont nous surgissons progressivement
Le plus beau passage
Le croisement où l’on peut partir vers le monastère de Grigoriou
L’arrivée à Simonopetra
Nous maintenons un rythme élevé jusqu’à un croisement ; il faut prendre à gauche pour atteindre notre premier objectif, à droite pour le suivant, le monastère de Grigoriou. Nous faisons un détour express par Simonopetra, véritable forteresse perchée à la tibétaine que nous visitons en tout sens, ébahis comme des enfants, même si la beauté de sa façade est ternie par les travaux qu’elle subit.
Le monastère de Simonopetra
La façade en réparation
Les jardins en terrasse du monastère, où s’affaire un moine
Le chemin bordant les jardins et conduisant à la cour intérieure
L’approche de l’enceinte
L’entrée proprement dite du monastère
La cour intérieure ; au centre, l’archontariki
La façade principale du monastère
Le premier moine que nous croisons, le long de ladite façade
Vue vertigineuse sur les jardins depuis la façade
Ivonig dans l’archontariki, picorant des loukoums
Exemples de peintures murales
Après une petite pause dans l’archontariki, la pièce où sont accueillis les pèlerins, nous voilà de retour au croisement ; nous choisissons cette fois la direction de Grigoriou. Un plaisir différent nous y attend : au chemin pavé succède un sentier louvoyant dans les escarpements de la roche, aux bâtisses médiévales une végétation dense où batifolent les papillons. Le ton est donné pour le séjour.
De Simonopetra à Grigoriou
Portion typique du sentier
La nature verdoyante
Un ermitage dans la montagne
Le point culminant de notre marche du jour
Nous filons jusqu’au monastère de Grigoriou, dressé sur un caillou en bord de mer. Même étonnement architectural, auquel s’en ajoute un autre : Simonopetra n’accueillant pas de pèlerins la nuit, nous n’en avions croisé aucun ; à Grigoriou, il en va autrement, de nombreux laïcs sont présents, et tous nous alpaguent amicalement, curieux de savoir nos origines, nos intentions, nos objectifs. Il en ira de même dans chaque monastère. Tous les pèlerins que nous croiserons, Grecs ou étrangers, nous adresseront la parole, et nous alternerons ainsi pendant sept jours marche et discussion, sans jamais reprendre notre souffle, dans une ambiance fraternelle constante, si on excepte nos rapports avec quelques moines rigoristes souffrant mal notre non-orthodoxie.
Le monastère de Grigoriou
Vue sur le monastère depuis le sentier
L’arsanas de Grigoriou
Un exemple typique de l’architecture athonite : murs en pierre, balcon en bois, toit de lauze
La cour extérieure du monastère
Le baptistère
Détail des peinture intérieures du toit du baptistère
Une mosaïque surplombant la porte d’entrée de la cour intérieure, représentant le fondateur saint Grégoire
La cour intérieure, où discutent moines et laïcs ; en rouge, le katholikon
Le katholikon
L’aile ouest, où se trouvent les chambres des pèlerins
Fresque murale du katholikon
A Grigoriou, nous avons bien du mal à écourter les discussions ; il le faut pourtant, car nous ne pouvons prendre le risque d’arriver au monastère de Dionysiou après la fermeture des portes. Nous partons donc, et nous astreignons sur le chemin, très accidenté, à un détour par la cave ou vécut l’ermite Grégoire, fondateur du monastère. Cela nous coûte un quart d’heure et nous met définitivement dans le rouge.
Entre Grigoriou et Dionysiou
Le monastère de Grigoriou vu du sentier
Un détour vers la cave de Grigoriou
Un toit de lauze typique à côté de la cave
Le sentier serpentant sur la colline
Gros plan du sentier
Une cascade peu avant notre arrivée à Dionysiou
Un peu plus loin, au détour d’une corniche, le très photogénique monastère de Dionysiou apparaît en contrebas. Une longue descente circulaire nous y amène, trop lentement ; nous perdons encore quelques minutes à admirer et photographier l’immense rempart sur lequel il est bâti, et lorsque nous nous pénétrons enfin dans le monastère encore ouvert, il n’y a aucun moine dans l’archontariki, tous s’affairant en vue en vue de l’office vespéral et du repas qui suivra.
Quelques vues du monastère de Dionysiou
Vue sur le monastère ; en arrière-plan, la baie du monastère d’Agios Pavlos
Vues rapprochées depuis le sentier
Vue depuis l’arsanas
Vue depuis l’escalier permettant d’accéder à l’entrée du monastère
Nous patientons une demi-heure dans l’archontariki ; alors seulement, un moine vient se préoccuper de notre sort. Il nous apprend que, du fait de notre retard, nos places ont été attribuées à d’autres pèlerins. Nous proposons de dormir au sol mais le moine s’y refuse et envoie l’un de ses frères dégoter dans un débarras des lits de fortune que nous installons sous un escalier. Nous pouvons enfin poser notre balluchon, après avoir passé la journée à nous activer en tout sens !
La journée n’est pourtant pas terminée. Après avoir reposé nos jambes quelques minutes, nous visitons le monastère, et notamment le cloître entourant le katholikon, couverts de fresques ancestrales.
A l’intérieur du monastère de Dionysiou
L’entrée du monastère
Les pèlerins discutant dans la cour extérieure
Le donjon du monastère
Les fresques du cloître
Nos lits de fortune
Ivonig méditant sur le balcon adjacent
Passant durant notre balade à côté de l’entrée ouverte de l’église centrale, nous nous apercevons que l’office a commencé. Des pèlerins écoutent religieusement les vêpres depuis le narthex. De temps en temps, l’un d’entre eux, pris de ferveur, s’élance vers une icône du Christ ou de la Vierge et l’embrasse avec dévotion. Après quelques hésitation, nous pénétrons à notre tour dans le narthex, puis au cœur de la nef, assistons ainsi à la fin de l’office vespéral en observant les murs intérieurs de l’église, entièrement peints, et pénétrons à la suite de l’assemblée dans un réfectoire également peint du sol au plafond, où sont disposés divers mets et du vin sur des tables allongées. Les moines nous y répartissent, et nous nous restaurons sans dire un mot, pendant qu’un religieux sans âge récite un passage de la Bible. Dès qu’il achève sa lecture, il faut lever ses couverts, et quitter en silence le réfectoire.
Le déroulement du processus nous impressionne : c’est une nouvelle expérience qui s’ajoute à celles, nombreuses, que nous avons vécu depuis notre réveil, et malgré la très copieuse marche qui nous attend le lendemain, nous avons, ce soir-là, bien du mal à trouver le sommeil.