A de rares exceptions, le parcours menant au sommet du mont Athos est le seul où nous avons croisé d’autres marcheurs. Dans leur majorité, ils n’étaient pas des randonneurs mais des pèlerins, qui considéraient la montée comme une forme de pénitence, et l’effectuaient parfois avec des vêtements normaux. Certains portaient même des chaussures de ville, une gageure au vu de l’aspect très rocailleux du sentier!
Les pèlerins visant le sommet se lancent en général d’un des arsanas entourant la pointe sud-ouest de la péninsule, où un bateau les dépose à l’aube, ou d’un skite où ils ont passé la nuit, tels que ceux de Nea Skiti et d’Agia Annis. Certains partent des monastères d’Agios Pavlos ou de la Grande Laure, plus distants. Dans tous les cas, ils doivent avaler entre 1300 mètres et 1500 mètres de dénivelés pour accéder au refuge de la Panagia, où ils passent habituellement la nuit, avant de grimper les 500 derniers mètres les séparant du sommet au petit matin.
Notre programme est plus copieux. Nous partons du monastère de Dionysiou, devons traverser les collines nous séparant de celui d’Agios Pavlos, faire un détour pour visiter ce dernier monastère puis resdescendre à mi-pente pour enfin démarrer l’ascension proprement dite. D’autre part, nous ne comptons pas dormir dans le refuge de la Panagia, mais directement au sommet. En prenant tout en compte, ce sont presque 2300 mètres de dénivelé positif qui nous attendent, le double de notre précédent record, et sous un soleil qui s’annonce ardent.
Mon frère appréhende depuis des semaines cette journée de marche. Pour pouvoir étaler notre effort et profiter de l’air frais, nous partons dès l’aube. L’enceinte à peine franchie, nous traversons un cimetière blotti contre la falaise, face à la mer. A côté de quelques tombes traditionnelles, un ossuaire remplis de crânes. Sur le front de chaque crâne est gravé le nom du moine décédé.
Le cimetière de Dionysiou
Le monastère vue depuis la sortie sud
L’entrée du cimetière
L’ossuaire
Vue sur le monastère depuis le cimetière
Le sentier qui suit longe la falaise ; certains passages sont assez casse-gueule. Ça monte et ça descend jusqu’à ce qu’on débouche dans un vallon incliné au fond duquel se dresse le monastère d’Agios Pavlos.
Le sentier entre Dionysiou et Agios Pavlos
Les premières pentes, à la sortie du cimetière
Certains passages sont tranquilles…
…d’autres plus vertigineux
Toute la vallée d’Agios Pavlos est en train d’être transformée. L’arsanas est en travaux, et quelques terrains rectangulaires grands comme des stades de foot, probablement destinés à devenir des champs, sont creusés dans la pente menant au monastère. On n’accède à ce dernier que par une route carrossable, où deux ou trois camions font des allers-retours. Tout cela gâche un peu l’arrivée au monastère.
C’est bien dommage, tant il est en soi impressionnant, par sa structure, plus encore par sa situation : il trône, face à la mer, au-dessus d’une vallée en pente douce d’où il est partout visible ; derrière lui surgissent des falaises abruptes qui s’élèvent jusqu’au sommet du mont Athos, émaillées ici et là de ravines où la neige n’a pas encore totalement fondu. Au loin, on repère vaguement, entre deux rayons de soleil, les plus hautes cimes de la montagne. L’intérieur du monastère, pavé de marbre, est tout aussi appréciable. Nous considérons son katholikon comme l’un des plus beaux de la péninsule.
Le monastère d’Agios Pavlos
Vue depuis l’arsanas
Vue depuis la route carrossable
Les appartements des pèlerins entourant le monastère
L’entrée du monastère
La porte d’entrée en fer forgé
Le katholikon
Le clocher
Nous comptions manger à Agios Pavlos, espérance vaine : l’heure du repas est dépassée et le réfectoire fermé. Nous n’osons pas demander de nourriture, puisons dans nos vivres, puis redescendons à mi-pente, à l’endroit où un chemin s’élance vers le sommet à travers quelques skites. Les premiers kilomètres, la pente est légère. Nous apercevons bientôt Nea Skiti en contrebas ; c’est le point de départ le plus courant de l’ascension.
Autour de Nea Skiti
Le sentier vers Nea Skiti
Une dernière vue sur le monastère d’Agios Pavlos
Les bâtiments de Nea Skiti dominant le littoral
La pente s’accentue
Un raidillon bien pavé
Quelques temps et quelques raidillons plus tard, nous rejoignons le skite d’Agia Annis sur un chemin en balcon. L’église et les bâtiments la ceinturant ont du caractère. Dans la cour centrale du skite, plusieurs pèlerins se reposent à l’ombre, nous suivons leur exemple. Parmi eux, un groupe de Russes que nous avons vu s’élancer du monastère d’Agios Pavlos au moment où nous entamions sa visite. Ils sont dirigés par un moine doté de chaussures de villes et vêtu d’une robe, qui plus est noire. Je lui souhaite bien du courage !
Le skite d’Agia Annis
Vue d’ensemble
Le toit en lauze de l’église du skite
L’entrée de la cour
On y trouve une fontaine…
Et une aire de repos
Dès la sortie du skite, les choses sérieuses commencent. Des rampes sévères nous emmènent dans une forêt que nous gravissons par un sentier en lacets, au prix d’un effort constant. Nous doublons bien vite les Russes partis en éclairage. Malgré un équipement totalement inadéquat, le moine semble être, des membres du groupe, celui qui souffre le moins. C’est d’ailleurs lui qui imprime l’allure, mettant dans le rouge deux de ses ouailles. Son allure stoïque ne manque pas de m’impressionner.
Cinq cents mètres plus haut, la pente s’adoucit enfin et oblique du sud vers l’est, signe que nous arrivons au bout de la péninsule. Dans une forêt toujours aussi dense, nous atteignons le Stavros, un carrefour où l’on peut au choix : descendre, à travers le désert de pierre où vivent de purs ermites, vers le skite de Kerasia ; continuer à même hauteur, en direction du monastère de la Grande Laure, ce que nous ferons le lendemain ; enfin grimper jusqu’au refuge de la Panagia, situé 700 mètres plus haut et 500 mètres sous le sommet.
De jeunes Grecs dont la pause s’achève quand nous surgissons des bois entament l’ascension à toute vitesse. Sans même avoir soufflé, nous les suivons mais devons bien vite ralentir l’allure. C’est d’autant plus nécessaire que la végétation commence à se dégarnir et l’ombre se faire plus rare, au moment même où le soleil atteint son zénith, ce qui entame nos forces, notamment celles d’Ivonig. Après une demi-heure de marche au soleil, nous pique-niquons sous un chêne-kermesse. Digestion oblige, la pause ne revigore pas vraiment mon frère, et dès que nous atteignons la première des trois forêts, il fait une petite sieste réparatrice.
Elle lui permet de retrouver des forces, mais je les lui sape un peu plus loin en lui faisant partager ma conviction, qui s’avérera erronée, selon laquelle la cime que nous avons en point de mire depuis une heure, et qui paraît inaccessible, est l’endroit où se trouve la Panagia. C’est en fait, tout simplement, le sommet du mont Athos ! Mon erreur d’appréciation n’arrange pas notre moral, mais nous permet au moins d’avoir une magnifique surprise lorsque le refuge surgit soudain à quelques encablures, alors que nous pensions avoir encore des centaines de mètres de dénivelés à combattre pour nous y hisser.
Au cœur de l’ascension du mont Athos
Les lacets abrupts à la sortie d’Agia Annis
Le groupe de Russes en jeans guidés par un moine, au moment où nous le dépassons
Le replat avant Stavros
Le pic final de la péninsule, qui apparaît au moment où les buissons remplacent les arbres
Ivonig en pleine sieste à l’orée de la première forêt
Le sommet du mont Athos surgit à l’horizon ; abruti par l’effort, je pense qu’il ne s’agit que du plateau où se trouve le refuge
Quelques instants avant de tomber nez à nez avec la Panagia ; a gauche, le sommet, où je pense encore qu’elle se trouve
Si le refuge a un certain charme, nous le trouvons pour le moins insalubre. Le dortoir étroit pue la sueur, la cuisine est un joyeux bordel, le puits est plus que douteux. Et nous n’avons pas encore vu le pire, les sanitaires, qu’Ivonig découvrira le lendemain. Nous préférons garder pour nous les visions d’horreur qu’il m’en a rapporté, et conseillons aux lecteurs de se contenter d’une cache dans la nature s’ils font un jour leurs besoins dans les parages. Ceci dit, le refuge est un lieu ombragé doté de matelas ; suffisant pour que mon frère y sommeille une heure pendant que je prépare un taboulé en causant avec un pèlerin solitaire d’origine biélorusse.
Le refuge de la Panagia
Deux héros devant l’entrée du refuge
Le dortoir
La cuisine
Le puits
Le groupe de Russes ; à leur droite, avec les lunettes, le Biélorusse solitaire
La mer Egée, 1500 mètres plus bas
Lorsque nous repartons, des ouvriers descendus du sommet nous déconseillent de monter, niant toute possibilité de dormir en haut dans la chapelle qu’ils sont en train de retaper. Nous passons outre leur contrariantes assertions et entamons l’ascension. Le soleil a calmé ses ardeurs et après la rude section précédente, la montée en lacets, bien qu’exigeante, est pour nous un véritable plaisir. Nous y rattrapons les Grecs partis à toute berzingue du Stavros, certains abdiquant même avant le sommet, et atteignons tout sourire le point culminant de l’île de la Vierge, peu avant le Biélorusse et deux quadragénaires athéniens qui nous prennent en photo sur la croix servant de poteau géodésique.
Le sommet du mont Athos
Les ouvriers qui tentent de nous dissuader de dormir au sommet
La montée finale, vue depuis le refuge
Des mules descendant des gravats
Vue rétrospective sur les lacets de l’ascension
Deux légendes vivantes au sommet du mont Athos
Comme annoncé, la chapelle est en travaux. Un moine et deux ouvriers s’apprêtent à y passer la nuit. On distingue pas mal de lits superposés à l’intérieur, assez pour nous accueillir en tout cas, mais le religieux, reniant les préceptes de la charité christique, nous empêche d’y accéder. Ça ne nous poserait pas problème si nous ne nous étions pas en même temps rendu compte que nos minables sacs de couchage quechua ultralight ne sont pas du tout adéquats pour dormir à cette altitude, où la température, avant même la tombée du jour, est à peine positive.
Nous nous préparons à une nuit glaciale quand trois Bulgares nous rejoignent sur le toit de la chapelle. Ils se sont comme nous fait rembarrer par le moine, mais plus persévérants, ont fouillé les alentours et dégoté dans le fatras du chantier des couvertures et des sacs de couchages, qu’ils partagent avec nous. Nous voilà sortis d’un sacré pétrin, nous qui envisagions déjà de revivre le calvaire d’une nuit bretonne de 2012, où dans des conditions similaires, nous n’avions pas fermé l’œil de la nuit ! Les trois Bulgares, dont l’un parle parfaitement français, partagent également leur nourriture. Nous pouvons dîner en toute quiétude, avec une vue intégrale sur la péninsule,magnifiée par le coucher du soleil.
Bivouac improvisé
L’endroit choisi, pas trop poussiéreux et à l’abri du vent
Notre bivouac installé
Nos trois bienfaiteurs bulgares
La Montagne sainte au coucher du soleil
Notre ventre est plein, notre couche assez chaude : c’est une bonne nuit qui s’annonce !