Sur le papier, le troisième jour était le moins prometteur du trek de Zagori, avec son statut d’étape transitoire entre la journée dans les gorges et celle en haute montagne, une très faible progression sur la boucle principale et plusieurs allers-retours a-priori lassants vers la rivière de Voïdomatis, le village de Papingo ou la chapelle votive d’Evangelistria.
Dans les faits, il en est allé tout autrement : sur un tracé constitué, du début à la fin, de sentiers aussi variés que parfaitement conservés, nous avons bénéficié d’une profusion de panoramas sur les vallées environnantes. De mon point de vue, c’est la plus belle journée du séjour, même si mes compères ont préféré la cinquième.
En rouge, le parcours du troisième jour de marche.
La randonnée commence avec la redescente de la grimpe ayant conclu la marche de la veille. Dès la sortie du village, le spectacle est au rendez-vous. La voie pavée qui dévale en lacets la pente à travers un tapis de fleurs, l’immense gorge de Vikos dont on n’aperçoit pas la fin, le cours d’eau turquoise du Voïdomatis, l’aveuglante lumière matinale magnifiant l’ensemble : j’ai devant moi un tableau comme je n’en ai pas vu avant, ni depuis. Si le paradis existe, il doit à peu près ressembler à ce qui me fait face. Je prends de nombreuses photos, dont aucune ne retranscrit vraiment la magie de l’instant.
La désescalade du village de Vikos
Ivonig et Sacha s’apprêtant à s’élancer dans les premières rampes de la descente.
Le sentier perce à travers les fleurs
Le plus beau passage: le chemin fait un lacet autour d’un piton rocheux, avec la gorge de Vikos et la rivière de Voïdomatis en arrière-plan
Une portion plus tardive du kalderimi
Arrivés au niveau de la rivière de Voïdomatis, nous manquons le passage où il faut la traverser et la longeons à tort pendant un petit kilomètre, jusqu’à ce qu’elle s’élargisse en un bassin transparent bordé de pierres blanches et protégé du soleil par des feuillus aux couleurs pastels. Avant de retourner sur nos pas, nous faisons une petite pause contemplative dans ce lieu magique. Mon frère et moi en profitons pour nous jeter à l’eau, pour un bain glacé auquel Sacha a eu raison de ne pas prendre part.
Au bord du Voïdomatis
Nous longeons à tort la rive hors-sentier
L’endroit idyllique où nous faisons halte
Ivonig tenant difficilement dans une eau à 12 ou 13 degrés
Sa baignade a, semble-t-il, grandement revigoré mon frère : il mène grand train dans la montée qui suit, avalant 400 mètres de dénivelé sans fournir le moindre effort. Il nous confie ne jamais s’être senti autant en forme lors d’une ascension. Il faut dire que le décor a tout ce qu’il faut pour le motiver : notre sentier, environné de pitons rocheux aux formes étranges, surplombe bientôt l’endroit où les rivières du Voïdomatis et du Lakkos Amadoura déboulent de leurs vallées respectives pour se fondre l’une dans l’autre, percer perpendiculairement à travers la montagne par la gorge du Voïdomatis et se jeter un peu plus loin dans l’Aoös. Sur le massif occidental de cette gorge, nous apercevons de plus en plus nettement le village de Vikos d’où nous sommes partis, blotti qu’il est sur une crête s’élevant jusqu’au sommet du Stouros.
Le sentier nous menant en surplomb de la gorge du Voïdomatis
L’ascension où Ivonig se déchaîne
Rochers insolites égayant notre route
La pente s’adoucit
La gorge du Voïdomatis
Vue en arrière sur le village de Vikos, dont les maisons sont vaguement visibles sur la crête
Nous remontons à présent la vallée du Lakkos Amadoura, par un sentier plus ou moins ardu. Plus haut sur son flanc oriental, celui-là même où nous marchons, est nichée la bourgade de Mikro Papingo ; nous nous y rendrons plus tard. Pour l’instant, nous visons Papingo, situé sur l’autre flanc. Après un passage en sous-bois, nous échouons au creux du vallon, le traversons et remontons vers ce dernier village. Au moment où nous surgissons du bois apparaissent dans notre dos les maisons de Mikro Papingo ; elles sont dominées par ces impressionnantes falaises que sont les Tours d’Astraka, sorte de rempart naturel ceinturant le sommet du massif.
La remontée de la vallée du Lakkos Amadoura
Le chemin remontant la vallée par son flanc oriental
Certains passages sont très raides
Vue en arrière sur le village de Vikos
Sur le flanc opposé, les falaises sont percées de grottes
Le village de Mikro Papingo
Les Tours de l’Astraka qui le surplombent
Le piètre repas que nous engloutissons à Papingo récompense mal l’effort produit durant l’ascension. La supérette locale étant fermée, nous devrons nous contenter de nos réserves d’ici le terme de notre trek. Je fais le tour des rares magasins ouverts à la recherche de piles pour recharger mon appareil photo ; fort heureusement, j’en déniche quelques unes dans le dernier d’entre eux.
Le village de Papingo
Au cœur du village
Le clocher du village
Sur l’autre flanc, les Tours d’Astraka
Sur la route du prochain village, celui de Mikro Papingo, je propose un aller-retour, en contrebas des Tours d’Astraka, vers la chapelle votive d’Evangelistria. La trace est peu évidente ; nous la perdons une ou deux fois, lors de la traversée de pierriers assez vertigineux. Au-delà des falaises rougeâtres du Kokkino Lithari, nous atteignons un improbable plateau herbeux surgissant à l’horizontale des Tours de l’Astraka. Depuis ce promontoire paré d’une insignifiante chapelle votive, on dispose d’un panorama complet sur la fin des gorges de Vikos, le village du même nom, la vallée du Voïdomatis et celle du Lakkos Amarouda. Nous jubilons de ne pas avoir renoncé à faire ce détour.
Le détour par le promontoire d’Evangelistria
Le sentier progressant en contrebas des Tours d’Astraka
Vue depuis le sentier sur Mikro Papingo…
…sur Papingo, de l’autre côté du Lakkos Amarouda…
…et sur Vikos, de l’autre côté de la gorge de Vikos
Ivonig traversant un pierrier
Passé le pierrier, Sacha fait le malin sous la falaise du Kokkino Lithari
Au bout du chemin, le promontoire herbeux d’Evangelistria
La chapelle votive d’Evangelistria, érigée au pied d’une des Tours d’Astraka
Notre pause près de la chapelle votive, face à Papingo
Après avoir longuement profité de l’incroyable belvédère naturel, nous fonçons vers Mikro Papingo, où j’espère me procurer quelques victuailles pour agrémenter les semoules des prochains jours. Je n’obtiendrai du tenancier du seul bar ouvert qu’un butin modeste: trois barres de chocolat, une tomate et un citron. Au passage, nous enfilons un coca bien frais en écoutant quelques soixante-huitards français exposer, conformément à leurs habitudes, c’est-à-dire à voix haute et à grand renfort de rires sonores, leurs opinions politiques et autres vérités existentielles.
Le village de Mikro Papingo
Le sentier qui nous mène du promontoire d’Evangelistria à Mikro Papingo
Une vue d’ensemble du village…
…et une vue plus détaillée
Une fontaine à l’entrée du village
L’église du village
Gros plan sur les toitures en lauze
Dès la sortie de Mikro Papingo démarre une ascension régulière de 1000 mètres de dénivelé s’achevant au refuge d’Astraka. Nous en accomplirons l’essentiel le lendemain ; pour l’instant, nous devons trouver un abri pour la nuit. Nous laissons de côte le premier que nous croisons, désireux de choisir celui d’Antalki, pour lequel avait opté le randonneur acd1410 deux ans plus tôt. Il se situe 200 mètres au-dessus de Mikro Papingo ; guidés par un Ivonig toujours aussi rutilant, nous l’atteignons bien vite.
Pour remplir sa gourde, s’attabler et jouer au Yams, l’endroit est idéal ; pour dormir à trois à l’abri d’une pluie éventuelle, un peu moins. Ivonig et moi laissons à Sacha la place du roi, sur la table, et établissons notre couche sur les deux bancs de pierre.
Le bivouac dans l’abri d’Antalki
Un premier abri que nous avons le tort de laisser de côté
Le sentier menant au second abri
Au loin apparaît le sommet enneigé d’Astraka, perché 2500 mètres au-dessus de la mer
L’abri où nous faisons halte, a 1200 mètres d’altitude ; à droite,la source d’Antalki ; j’y prends une douche sommaire
Notre improbable bivouac
Les deux bancs où nous sommes installés sont si étroits que nous pouvons en choir au moindre faux mouvement ; sans cesse sur le qui-vive, nous vivrons une nuit assez peu reposante, malgré des températures idéales, à peine inférieures à dix degrés.