Du fait de la nuit blanche que m’a fait subir la tempête nocturne, je dois réviser à la baisse mes ambitions du jour. Je compte restreindre ma marche à une petite vingtaine de kilomètres, avec une sieste après le déjeuner ; au final, je n’irai pas au-delà de Taborno.
En rouge, le parcours du onzième jour (lien openrunner)
La journée démarre immédiatement par une ascension de 600 mètres, sur le flanc gauche du vallon d’où ont déferlé des bourrasques toute la nuit. L’absence de sommeil me met dans un état léthargique tel que je ne sens pas mes jambes et ne souffre pas durant la grimpe. Par contre, j’avance à deux à l’heure et pique du nez en permanence. J’ai beau tenter de me concentrer sur mon effort, je ne peux empêcher mes pensées de divaguer vers l’absurde, comme si je rêvais les yeux ouverts.
Après cent mètres de grimpe, d’autant plus lents que je suis freiné par un vent de face toujours aussi puissant, je dépasse plusieurs cavités au sol plat et protégées du vent. Elles auraient constitué de bien meilleurs lieux de bivouac que celui qui m’a coûté une nuit horrible. Dire qu’il m’aurait suffi d’insister un peu plus longtemps pour pouvoir en profiter… Une telle erreur tactique m’irriterait profondément si je n’étais pas d’humeur si indolente.
A hauteur d’un belvédère offrant de belles vues plongeantes sur la côte nord, je m’arrête quelques temps et tente de remobiliser mes esprits. Rien n’y fait : je passerai toute la journée dans cette sorte d’hébétude qui précède l’assoupissement.
Un départ ensommeillé
Le sentier dépassant une première cavité
Une seconde cavité, où j’aurais passé une bien meilleure nuit que sous ma tente
La montagne opposée, le Boca del Viento, un nom qui aurait du éveiller mes soupçons
Vue depuis le belvédère sur la Punta Fajana
Visant le restaurant du hameau de Chinamada, où j’escompte manger un morceau et somnoler un peu tout en me soustrayant à un vent qui m’est devenu insupportable, j’accélère un peu dans la fin de la montée. J’ai du mal à profiter du parcours, tant en lui-même que par les vues qu’il offre sur le massif de l’Anaga. Il est pourtant difficile de rester insensible aux panoramas qui se présentent à moi aux abords du Roque de los Pinos. Si je parviens vaguement à les savourer, mon enthousiasme s’estompe à l’arrivée à Chinamada, dont la taverne est fermée durant toutes les vacances de noël.
L’ascension vers le hameau de Chinamada
Le joli sentier perce à travers les buissons…
…et les cactus
Un passage en escalier creusé dans la roche
Le chemin redescend à flanc de falaise
Vue en arrière sur le sentier emprunté
Le Boca del Viento, de l’autre côté du vallon
Le village de Chinamada apparaît au loin
Le photogénique Roque de los Pinos
Pas grave me dis-je, il suffit de poursuivre ma route jusqu’à Las Carboneras, un village situé trois ou quatre kilomètres plus loin. J’y accède au terme d’un tracé peu accidenté qui offre d’autres vues sur l’Anaga et en explore les rues avec un ventre qui crie famine. Nouvelle frustration : tous les commerces sont fermés, comme j’aurais du m’y attendre puisqu’on est le premier janvier.
Vers le village de Las Carboneras
Vue en arrière vers le hameau de Chinamada
Quelques plantes exotiques bordant le chemin
La vallée arpentée la veille se dévoile progressivement sur ma droite
On y distingue le village Batan de Abajo
Las Carboneras surgit à l’horizon
Trop fatigué pour cuisiner ma semoule, je me contente d’une barres chocolatée puis oblique vers l’est dans une profonde vallée. Sur les hauteurs d’en face, le village perché de Taborno, où j’espère avoir plus de chance. Au creux du vallon, je repère plusieurs pelouses abritées du vent. Bien qu’on soit en début d’après-midi, j’hésite longuement à y poser ma tente et à m’endormir illico. Seule la perspective d’un repas à Taborno m’en empêche.
Je grimpe au village tant bien que mal, plus somnolent que jamais. Si tout est fermé dans la rue principale, je déniche une taverne minuscule au fond d’une improbable allée bétonnée. Les clients, c’est-à-dire quelques gars du coin, y végètent dans une petite véranda emplie d’objets insolites et dont les murs sont couverts d’inscriptions ; c’est la seule salle du “restaurant”.
Pendant qu’un vieillard me sert ses deux seuls plats, une omelette et de la viande d’agneau, j’apprends qu’il y a une chambre à louer à l’étage de la gargote. Y voyant l’occasion de rattraper mon temps de sommeil en évitant de subir une nuit de plus la tempête qui fait toujours rage, je lui propose de l’occuper pour la nuit. Il refuse, gêné ; un jeune assis à mes côtés, parlant quelques mots d’anglais, m’explique qu’elle n’est pas lavée. Je réponds que cela ne me gêne pas, mais le vieillard persiste dans sa position.
Le jeune interrompt notre dialogue de sourd, m’enjoint à le suivre, m’emmène jusqu’à la salle municipale de Taborno dotée de sanitaires et m’offre l’opportunité d’y dormir gratuitement. J’accepte volontiers et le remercie chaudement pour ce service inattendu. Il me confie les clefs du bâtiment et m’indique l’endroit où je devrai les déposer le lendemain. Me voilà nourri, logé et disposant d’un point d’eau ou blanchir mon linge!
L’arrivée régénérante au village de Taborno
Le village que je quitte, Las Carboneras, vu depuis le vallon…
…et depuis le flanc opposé
Le village de Taborno sur son promontoire
L’arrivée à Taborno ; à gauche sur la bosse, le pâté de maison où je trouve la taverne
L’allée bétonnée ; à droite, l’entrée du restaurant
La véranda où s’installent les clients
La façade couverte d’inscription de la cuisine
Une tyrolienne reliant Taborno à la vallée
Le jeune m’affirme que les alentours de Taborno offrent les plus belles vues de tout Tenerife et me conseille d’aller jeter un œil au Roque de Taborno, un pic rocheux trônant au bout de la ligne de crête où est juchée le village. Nous ne sommes qu’en milieu d’après-midi ; je me décide à faire le tour du piton avant d’aller me coucher. Le jeune ne m’a pas menti : dès la sortie du village, alors que je m’avance sur la crête, je jouis d’un spectacle exceptionnel sur le massif de l’Anaga; peut-être la plus belle succession de vues de mon séjour sur l’île, et il y a concurrence !
Les panoramas sur le massif de l’Anaga depuis la crête de Taborno
Le Roque de Taborno, planté au bout de la crête démarrant au village
Vue vers le sud-ouest et le village de Las Carboneras, où j’étais plus tôt
Vue sur les collines du sud, où chemine la suite de mon tracé
Vue vers l’est et le village d’Afur, que je traverserai le lendemain
Dévoilement progressif de la côte nord de Tenerife depuis le village d’Afur
Arrivé au pied du Roque de Taborno, j’en effectue le tour par un sentier dont la trace est parfois très vague. C’est au moment où je bascule sur le versant nord du piton rocheux que les vues sur la côte sont les plus impressionnantes. A cet endroit seulement, on mesure pleinement la beauté du massif de l’Anaga, de ces montagnes coniques aux contours tranchants qui plongent presque à pic dans l’océan. Et dire que le splendide littoral qui s’étale sous mes yeux est précisément celui que je vais longer durant mes deux prochaines journées de marche ! Histoire de m’y préparer, je dois récupérer les heures de sommeil dont m’a privé la tempête la nuit précédente ; j’achève en vitesse ma boucle et me cloisonne dans la salle municipale.
Le tour du Roque de Taborno
Le Roque de Taborno vu depuis le sud
Le sentier qui en fait le tour
Vues sur le littoral fascinant de l’Anaga que je vais longer les jours suivants
La ligne de crête reliant le Roque de Taborno au village
Le sentier qui la parcoure
Complètement épuisé par une grimpe de 1000 mètres de dénivelé consécutive à une nuit blanche, je m’endors à 17h, avant même que le soleil se soit couché, et dormirai quasiment sans interruption jusqu’au petit matin, 15 heures plus tard.