La section qui m’attend au matin du deuxième jour est exceptionnelle. Il s’agit, après m’y être hissé, de suivre pendant des kilomètres la ligne de crête formant l’épine dorsale du massif du Teno, jusqu’au petit village du même nom. De ce bled, j’entreprendrai durant l’après-midi une boucle vers la Punta de Teno, pointe occidentale de Tenerife.
En bleu, le parcours du deuxième jour (lien openrunner)
Le problème tient dans la redondance, jusqu’à midi, des averses plus ou moins intenses qui ont déjà martelé ma toile de tente au cours de la nuit. Par leur intensité, elles vont gâcher mes premières heures de marche, et par les brumes qui y sont liées, certaines vues sur les deux versants de la crête, notamment l’occidental. Cela ne m’empêche pas de savourer un sentier continu en parfait état, bien que l’humidité ambiante le rende très glissant. Il me plonge au cœur d’un paysage accidenté et paré d’une flore semi-tropicale étonnante pour un Européen
La crête du Teno
Le chemin de crête, au niveau de la Cumbre de Masca
Le chemin traverse parfois d’épaisses forêts
Sur son versant oriental, je peux contempler une vallée s’étendant du village de Las Portelas…
…à une colline fissurée nommée Montaneta del Palmar
Quant au versant occidental, il m’est longtemps dissimulé par une brume épaisse qui s’arrête étrangement à la crête
Le sentier de crête au niveau de la Cumbre del Corrizal, cheminant entre cactus et plantes tropicales
La brume du versant ouest commence à se lever ; au loin, le sommet du Baracan, à 1000 mètres d’altitude
Alors que je gravis le Baracan, sommet du massif, la brume daigne enfin se lever complètement. Plus rien ne peut m’empêcher de profiter des panoramas splendides qui s’offrent à mon regard de tous les côtés, y compris à l’ouest. Un peu plus tard, les nuages se lèvent assez pour me permettre d’apercevoir, à des dizaines de kilomètres, les pentes du Teide. Sombres la veille, les voilà éclatantes de blancheur ; je comprends soudain qu’aux pluies nocturnes que j’ai subi durant la nuit ont du correspondre d’importantes chutes de neiges dans les hauteurs de l’île. Du beau temps est annoncé pour les prochains jours ; j’espère qu’il permettra à la neige d’altitude de fondre, sans quoi mon ascension du sixième jour se trouve compromise.
Quelques vues depuis les pentes du Baracan
Vue vers la côte occidentale et la vallée de Los Carrizales
La même vallée vue d’un peu plus loin ; on y distingue quelques maisons du village de Los Carrizales
Vue vers le nord-est et les champs de banane entourant la ville de Buenavista del Norte
Vues inquiétantes sur les pentes du Teide
La ligne de crête que j’ai suivi toute la matinée
Après avoir atteint le sommet, je baisse le rythme de marche pour profiter du beau temps retrouvé et achève au ralenti une matinée exigeante. A Teno, une taverne ouverte me permet de remplir ma panse et ma batterie de téléphone tout en vidant mes intestins.
L’arrivée au village de Teno
Le sommet du Baracan
Le sentier en balcon menant à Teno
L’auberge de Teno
Depuis le village de Teno, j’ai prévu d’effectuer une boucle vers Punta de Teno. J’en reviendrai par la randonnée officielle, et m’y rend par une alternative existant prétendument selon opencyclemap. Une fois de plus, la réalité sera quelque peu divergente, même si je ne pourrais cette fois nier l’existence d’une trace. Sur ma route vers la partie polémique, je traverse une partie du massif un peu moins escarpée.
Les hauteurs du massif du Teno
Des bizarreries géologiques au bord du chemin
Des pentes plus arrondies qu’au matin
Ici et là, quelques fermettes ne manquant pas de charme
Certains versants portent le témoignage d’anciennes cultures en terrasse
La crête d’où descend supposément le sentier d’opencyclemap
Pour la troisième fois en trois tentatives, je ne parviens pas à repérer le départ du sentier officieux affiché sur les cartes d’opencyclemap, qui est censé plonger dans le vallon à ma gauche. Après quelques repérages infructueux, je me résous à m’engager dans la pente par une trace hors sentier somme toute assez praticable. Arrivé dans un vallon où coule le vague ruisseau de la Sobaquera, je m’aperçois qu’il se termine en ravin ; sur sa bordure ont été érigées les fortifications d’un barrage semble-t-il laissé à l’abandon. Guidé par une indication fallacieuse, je m’engage par sa droite dans la descente. L’entreprise devient vite dangereuse ; je dois rebrousser chemin, et trouve finalement à gauche du barrage un sentier assez vertigineux, mais finalement sans danger, qui me permet de dévaler la pente jusqu’au vallon suivant.
Dans la vallée de la Sobaquera
La vallée de la Sobaquera s’effondrant jusqu’à la mer
La pente par laquelle j’y descend hors-sentier
La vague trace que je suis, entre arbustes et cactus
La vallée se conclut par un barrage
Le barrage, vu depuis la suite du tracé
Je tente de poursuivre ma route à droite du ravin
De belles vues sur les côtes sont ma seule récompense ; la voie est sans issue
A droite du barrage sur la photo, la zone par laquelle je suis finalement descendu
Par la suite, je me fie à une trace assez évidente qui oscille d’un côté et de l’autre d’un lit de ruisseau faiblement alimenté. Dans un virage à gauche du ruisseau, je fais de nouveau un mauvais choix, continuant tout droit en légère grimpe alors qu’il aurait fallu suivre le cours d’eau, dans un gouffre qui me parait à tort bien trop pentu. Il m’en coûte un quart d’heure d’effort inutile, compensé par quelques belles vues dont je profite après m’être inutilement hissé jusqu’à un col. Revenu sur mes pas et commençant à être pressé par le temps, je dévale les dernières centaines de mètres qui me sépare du niveau de la mer, et après un dernier hors sentier durant laquelle une plante que j’ai pressé m’asperge d’une sorte de colle de caoutchouc, je déboule sur la route, face à une plaine volcanique s’étendant jusqu’à la mer.
L’arrivée sur la côte
L’endroit où j’aurais du suivre le virage du lit du ruisseau
Un bloc massif que je contourne durant mon errance
Vue en arrière depuis l’endroit où je comprends mon erreur
La pente finale
Le front de mer lunaire où je déboule
Vue en arrière sur le massif ; a gauche, la vallée encaissée de la Sobaquera, d’où je suis descendu du plateau
Ledit massif se jette plus à l’ouest dans la mer
Plutôt que de suivre l’asphalte jusqu’au phare, je fais un détour vers le littoral érodé par de puissantes vagues et qu’on atteint à travers un terrain plat et rocailleux. L’aspect décharné des lieux tranche avec les zones verdoyante sillonnées le matin-même. Je poursuis jusqu’au phare du Teno et profite, depuis la pointe où il a été édifié, d’une belle perspective sur les falaises s’étendant jusqu’au village de Los Gigantes, où j’ai fait halte deux jours plus tôt.
Sur la plaine volcanique de Teno Bajo
La plaine rocheuse s’étend jusqu’à la pointe
Ses rives creusées par les rouleaux
Le phare de Punta de Teno
La côte vue depuis la pointe
Les falaises s’étirant jusqu’à Los Gigantes
Ce n’est pas le moment de traîner : il reste deux heures de jour tout au plus et je dois encore trouver un endroit ou monter ma tente. Je visais au départ les champs entourant le village de Teno mais les aléas de la journée m’ont fait perdre trop de temps. Je gravis en vitesse les 500 mètres rocheux qui me permettent de resurgir dans les zones plus vertes et cultivées du Teno et trouve, près de la ferme de Las Cuevas, une parcelle en terrasse convenant a priori parfaitement au camping.
Le deuxième bivouac
L’ascension en lacets du Roque Chinaco
Vue vers le nord-ouest depuis le bivouac
Vue vers le sud-ouest
En plantant ma tente, je suis loin d’imaginer la galère qui m’attend. C’est d’abord un chien revenu des champs qui m’aboie dessus pendant deux heures depuis sa cage, à une centaine de mètres, sans pour autant que son maître ne vienne me demander de déguerpir. Lorsque le cabot la ferme enfin, je pense pouvoir dormir paisiblement ; il n’en est rien, car une tempête se lève durant la nuit, révélant l’inadéquation du sol sur lequel j’ai planté mon abri. La terre argileuse n’a aucune tenue , ce que j’avais déjà remarqué en y enfonçant sans aucune résistance mes sardines. Celles-ci surgissent du sol à chaque bourrasque, dont l’impact sur ma tente est puissamment renforcé par le fait que que je ne l’ai pas positionnée dans le sens adéquat. Après une heure à replanter vaguement mes sardines depuis mon cocon, une bourrasque terrible fait valdinguer tout mon système. Ma toile de tente se retrouve à moitié en l’air ; seuls mon poids et celui de mon équipement l’empêche de s’envoler.
Laissant toutes mes affaires à l’intérieur, je sors complètement nu, replace ma tente afin que le vent la frappe par son côté aérodynamique et, après avoir vérifié deux minutes qu’elle tient plus ou moins, part emprunter quelques grosses pierres d’un muret proche pour stabiliser mes sardines. Mon nouveau système semble tenir la route, et après une demi-heure de veille, je peux enfin me reposer.