Impraticables en cas de trop fortes précipitations, les gorges du Torrent de Pareis ne figurent pas au programme du GR221. Ceux qui désirent les visiter sans rompre leur trek doivent emprunter une variante reliant par la côte le village de Biniaraix à la plage de sa Calobra, où débouchent les gorges, remonter ces dernières jusqu’au hameau d’Escorca et revenir alors vers le lac de Cuber par celui de Gorg Blau, ou pour les plus pressés, couper directement vers le monastère de Lluc en zappant la superbe section centrée autour du refuge de Tossals Verds.
En version longue, le détour ici décrit ajoute 40 kilomètres à la transition Biniaraix – lac de Cuber, qui en compte moins de 10 par la voie directe ; un effort supplémentaire qui vaut vraiment le coup.
En rouge, mon détour par les gorges du Torrent de Pareis
Dans les premiers kilomètres, on découvre le village de Fornalutx, un des plus beaux de Majorque.
Fornalutx
Vue d’ensemble du village
La place centrale
Le réseau de rues du village est le plus joli que j’ai exploré
Une bonne grimpe à la sortie de Fornalutx et l’on peut profiter d’une longue séquence champêtre dans les hauteurs de l’île.
Sur les plateaux de la Tramontane
La grimpe s’effectue en partie sur des voies pavées
Vue sur Port de Soller depuis le mirador de ses Barques
On transite entre champs d’oliviers, cultures en terrasse…
...et pâturages
A l’horizon, mon objectif, le col de Beniamar
Je m’en approche sur de superbes chemins de pierre sèche
Sur ma route, trois corps de ferme, Balitx d’Amont…
Balitx d’Enmig…
et Balitx d’Avall
Passé le col de Beniamar, je me rends à la plage de sa Calobra par un sentier côtier, le seul véritable que j’emprunterai du séjour. Les photos ne rendent pas compte de sa splendeur, la faute à un soleil couchant qui m’oblige à progresser dans une obscurité grandissante au-delà de la modeste station balnéaire de Cala Tuent.
Un sentier côtier qui aurait mérité d’être immortalisé en pleine journée
Pressé par la nuit tombante, je déboule à toute allure à Port de sa Calobra. Bien qu’on soit le soir du réveillon de Noël, un restaurant est ouvert, dans l’attente d’une fête de famille. Je m’y ravitaille puis traverse le plus discrètement possible le tunnel qui permet d’accéder à la plage de sa Calobra, le bivouac y étant interdit.
La plage est étrangement disposée : coincée entre d’immenses falaises, elle se résume à un banc de sable séparant un accès à la mer étroit et une lagune sans profondeur, que je sillonne au hasard à la recherche d’un coin où dresser bivouac. Je trouve mon bonheur de l’autre côté du plan d’eau, sur un bout de pelouse improbable. Pour la première fois en 6 nuits à Majorque, je vais dormir en tente, seul au monde sur un site habituellement très fréquenté. Au lever du jour, je prends conscience de la majesté des lieux, dont mes photographies ne rendent pas pleinement compte.
La plage de sa Calobra
La plage proprement dite : un banc de sable coincé entre la mer, une lagune et deux falaises, banc de sable auquel on accède par le tunnel dont l’embouchure est visible dans la paroi de gauche
La lagune est peu profonde mais son franchissement inévitable pour qui veut s’enfoncer dans les gorges
Le rivage
De l’autre côté de la lagune, une petite pelouse où je dresse ma tente
Le bivouac, avec en arrière-plan, ici le rivage…
…et là la faille où je m’engage au petit matin
Après avoir admiré les lieux, je me dirige vers les gorges proprement dites. Avant même de les avoir atteintes, je passe un sale quart d’heure, la lagune s’étendant loin à l’intérieur des terres. Je transite entre des fourrés et des bassins d’une eau très froide me remontant jusqu’aux cuisses, sans qu’aucun signe ne me permette d’avoir l’assurance d’être sur le bon chemin, si bien que je me demande parfois si je n’aurais pas du passer par les hauteurs.
La lagune qui me sépare de la faille, une introduction assez désagréable à la remontée des gorges
Ce n’est qu’au moment où la faille se resserre soudainement que je repère, en me retournant, une première marque peinte. Il en ira de même toute la journée, le sentier des gorges du Torrent de Pareis n’étant balisé que dans le sens de la descente.
L’entrée des gorges, endroit où je repère un premier balisage
Alors que je me sèche les pattes pour enfiler mes Meindl, des chèvres s’approchent, pas farouches. L’une d’elles vient carrément se frotter contre moi. Je récompense son initiative d’une poignée de raisins secs.
Suivi de près par mes nouveaux partenaires, j’entame une grimpe qui mettra ma détermination à rude épreuve : outre le franchissement d’autres plans d’eaux et des difficultés d’orientation redondantes, j’aurais en effet à fournir un effort constant dans des chaos rocheux comportant de nombreuses phases d’escalades.
Dans les gorges du Torrent de Pareis
Le terrain de jeu : un chaos rocheux où l’on avance au ralenti
Un dilemme permanent : s’infiltrer par la faille (ici à gauche) ou grimper sur les blocs (ici à droite) ? Ce n’est qu’a posteriori que le balisage confirme le choix effectué ou oblige à rebrousser chemin
Le passage le plus étroit du parcours
La paroi sud
Divers chaos rocheux traversés
Le final, sur un revêtement plus reposant
Un salvaveur filet d’eau filtré par la roche ; j’ai pu y recharger mes gourdes
Plusieurs passages nécessitent d’user de cordes pour se hisser d’un bloc rocheux à l’autre.
Trois passages encordés
Le pire moment est cependant celui où je dois m’élever à la force des bras sur 2 bons mètres, après avoir balancé au hasard mes chaussures sur l’esplanade rocheuse glissante que je vise, la zone d’où je m’élance étant inondée. Pas vraiment le genre d’exercice que j’affectionne, mes bras étant aussi fébriles que mes cuisses solides.
Vue plongeante sur le bassin d’eau d’où je me suis extirpé à l’arrachée
Autant dire que je ne suis pas mécontent de m’extraire de la faille, après 3 heures d’effort continu.Suite à un enchaînement de lacets prononcés, ses parois s’écartent soudainement et m’offrent un tableau spectaculaire, que je savoure dans une solitude totale.
L’élargissement des gorges
L’endroit où les parois s’ouvrent devant moi
Les falaises immenses qui m’entourent…
…s’écartent à mesure qu’elles conduisent à la vallée du monastère de Lluc, une huitaine de kilomètres plus loin
Pensant avoir passé le gros des difficultés, je me déconcentre et trouve le moyen de faire fausse route dans les sentes qui remontent à travers la garrigue. Une heure d’errance irritante que tempèrent les vues impressionnantes sur les gorges depuis les hauteurs.
Tryptique donnant idée des vues dont je profite
La grimpe s’achève au hameau d’Escorca. J’y recharge mes gourdes dans un robinet douteux et repique vers le lac de Gorg Blau. Pour ce faire et histoire d’éviter un détour par la route, je juge opportun d’emprunter un carrossable traversant des propriétés privées. Des chiens agressifs protégeant la ferme de son Nebot me font payer mon audace et m’obligent à repiquer vers la route par un hors-sentier avec la double sanction franchissement douloureux de grillage / déchirage de pantalon. La mésaventure me dissuade définitivement de m’adonner au hors-sentier dans les Baléares.
Quatre bons kilomètres d’asphalte et me voilà sur l’aire de repos bordant le lac de Gorg Blau, où plusieurs familles prolongent jusqu’au coucher du soleil leur après-midi barbecue.
Le lac de Gorg Blau photographié à deux heures d’intervalle
Il est interdit de camper sur le site ; telle n’est d’ailleurs pas mon intention, le refuge fermé bâti à son entrée disposant d’un portique où je m’installe tranquillement dès que je me retrouve seul, mettant un terme à une journée de trek splendide mais éprouvante.
Mon abri du soir
Fait inédit depuis mon arrivée à Majorque, la nuit est pluvieuse, ce qui compromettra les plans du lendemain.