Madère en tous sens (mars 2020) – 4/5 – grandeur et décadence

Les prochains jours de marche s’annoncent dantesques, avec deux immanquables : la plus belle levada de Madère, celle de Caldeirão Verde, puis son sentier phare, le PR1, reliant le Pico Ruivo au Pico Arieiro. Nous respecterons ce programme mais n’en profiterons pas pleinement, la faute à un imprévu de taille.

En rouge, notre parcours de levadas en sommets

Dès la descente vers la Caldeirão Verde, je sens que quelque chose ne va pas, mon frère étant très lent et inhabituellement taiseux. Au moment où nous débouchons sur la levada homonyme, il rompt le silence et me révèle souffrir d’un muscle de la cuisse gauche depuis une heure. Notre pause grignotage n’y change rien. Je lui propose d’échanger l’aller-retour vers la vallée de Caldeirão Verde contre une après-midi de repos, mais il refuse de saborder notre parcours. Qu’à cela ne tienne ! Pour alléger sa cuisse, nous mettons tout le nécessaire dans mon sac, dissimulons le sien dans les fourrés et nous nous engageons à petit rythme sur la fameuse levada.

L’aller-retour en comprend en fait deux, la levada do Caldeirão Verde, puis la levada do Caldeirão do Inferno, qui prolonge le plaisir jusqu’à une seconde curiosité géologique. La trajectoire aller tient ses promesses, même si les photos n’en rendent pas bien compte, le soleil nous faisant face.

Vers la Caldeirão do Inferno

Ivonig sur une levada…

…qui s’enfonce dans une vallée extraordinaire…

…vers la Caldeirão Verde

La levada do Caldeirão do Inferno…

…traverse un improbable chaos rocheux…

…jusqu’à un cirque encaissé…

…aux parois impressionnantes

Le retour est encore plus plaisant, le soleil étant cette fois dans notre dos.

Retour sur la Caldeirão Verde

L’immense canyon vu de la Caldeirão do Inferno

Une levada exceptionnelle…

…nous extirpe progressivement de la vallée…

…et non sans nous faire profiter d’autres cascades…

…et d’autres cirques…

…nous conduit au hameau des Queimadas

Nous envisagions les Queimadas comme une aire de pique-nique avec de petits abris, du type de ceux des premiers jours. En fait, c’est un parc floral luxueux aux locations coûteuses. Si nous ne voulons pas planter illégalement notre tente dans un recoin, il nous faut continuer, mais la suite du programme n’est autre qu’une ascension de 900 mètres nous ramenant au Pico Ruivo. Là-haut, au moins trois cabanons pourraient nous servir d’abris, et ils sont atteignables avant la nuit ; seulement, mon frère est toujours diminué. Il propose de tester sa jambe dans les premières pentes, et de revenir aux Queimadas en cas d’échec. L’essai est fructueux, sa cuisse ne le gênant presque pas dans les montées ; aussi poursuivons-nous l’effort.

Ivonig en pleine lutte

A un rythme excellent, nous atteignons la crête au crépuscule.

Mon frère a retrouvé le moral, au point qu’il ignore les premiers abris se présentant à nous, trop sommaires. Il privilégie celui, plus spacieux, que nous avons repéré le matin même, près du refuge du sommet, et que nous trouvons inoccupé. Une nuit réparatrice, un réveil sous le soleil et nous attaquons la plus belle randonnée de Madère : la PR1, qui relie le Pico Ruivo au Pico do Arieiro par une barre rocheuse complètement déstructurée, que nous abordons par sa paroi orientale.

Premiers kilomètres sur le PR1

C’est au moment où nous basculons sur l’autre flanc que le grand spectacle commence. Nous évoluons alors à mi-hauteur d’une immense falaise dans laquelle le sentier a été littéralement sculpté.

L’apogée du trek

Le chemin, taillé dans la roche…

…offre une alternance de phases ouvertes vertigineuses et de passages en tunnels

Un passage sous une arche…

…un final plus conventionnel…

…et d’un belvédère conclusif…

…nous apprécions le chemin parcouru, avec le Pico do Gato au premier plan…

…et derrière lui, le Pico das Torres

La séquence finale vers le Pico do Arieiro est plus saisissante encore, le sentier se hissant parfois à-même la ligne d’une crête volcanique exiguë dont les parois plongent des deux côtés à la verticale.

Sur le fil

Louvoyant entre les pointes de l’arête…

…notre chemin s’approche doucement du Pico do Arieiro, reconnaissable à l’observatoire sphérique qui le couronne

Le plus impressionnant passage sur la ligne de crête

D’autres, plus anodins

Du Pico do Arieiro, vue en arrière sur le sentier…

…l’aiguille du Pico do Gato…

…le Pico das Torres, dont la silhouette dissimule celle du Pico Ruivo…

…et loin au nord, le littoral

La route est encore longue d’ici le campement de Ribeiro Frio, où nous comptons bivouaquer : une quinzaine de kilomètres dans la caillasse, incluant un détour par le parc écologique de Funchal, d’où j’entends profiter des panoramas sur la côte sud et la capitale.

La majorité de l’itinéraire est descendant, ce qui inquiète mon frère, au vu de sa cuisse abîmée. J’empire notre situation en me tordant violemment la cheville dans des gravillons pourtant anodins. Bien qu’elle double de volume, nous n’avons rien sous la main pour calmer la douleur. Dans l’immédiat, je peux repartir ; c’est à froid, le lendemain matin, que je prendrai conscience du sérieux d’une blessure que les trois derniers jours de marche ne feront qu’empirer.

Les paysages que nous traversons durant l’après-midi, moins stupéfiants que ceux du matin, ne compensent pas notre douleur, surtout celle de mon frère, qui finit la journée au ralenti.

Un après-midi poussif

Nous quittons le Pico do Arieiro…

…par un plateau…

…puis une vallée profonde…

…qui file vers le sud

En contrebas, Funchal

Un retour dans l’arrière-pays par le parc écologique et sa mer d’ajoncs…

…un coup d’œil au Pico do Arieiro, maintenant lointain…

…et nous basculons du côté septentrional de l’île…

…à destination du village encaissé de Ribeiro Frio

Etroite, humide et orientée plein nord, la vallée de Ribeiro Frio porte bien son nom : il y règne un froid de canard. Alors que espérions récupérer de nos blessures respectives, nous y passons une nuit glaciale bien peu réparatrice. Une journée de repos à l’hôtel s’impose !