Trois semaines dans les Dolomites (juillet 2020) – 2/10 – sur la Translagorai

La Translagorai est un parcours de 80 kilomètres qui longe d’un bout à l’autre l’imposante crête de la chaîne de Lagorai. Je l’ai suivi de son bord occidental à son point culminant, la cime orientale de Cece, ultime mise en bouche avant les Dolomites.

En rouge, la traversée des 3/4 du Translagorai

En partant de l’ouest, le premier sommet saillant de la chaîne de Lagorai est le mont Fravort. C’est à son niveau que je rejoins le tracé de la Translagorai, qui se poursuit sur une ligne de crête de plus en plus mangée par la brume.

Au milieu des brumes

Du mont Fravort, vue sur le pic suivant, le mont Gronlait

A sa droite, le col della Portella…

…duquel la suite de la chaîne apparaît entre deux nuages

Par un chemin en très mauvais état…

…je me hisse sur une crête dégagée, pour une heure de plaisir avant que lebrouillard la submerge

Passée la cime delle Lepri, n’y voyant plus rien, je prends une alternative moins aérienne filant sous la couche nuageuse…

…vers le refuge Sette Selle

Alors que j’hésite à passer la nuit au refuge, le temps s’améliore, m’incitant à reprendre la route, vers le col de Palù ; les cartes y mentionnent un abri qui n’est en fait qu’un simple toit.

L’abri du col de Palù

Je m’y serais installé si Andrea, une randonneuse de passage, ne m’avait pas vanté les mérites du bivacco Mangheneto, distant de 8 kilomètres. J’en ai déjà beaucoup au compteur, mais la perspective d’une nuit confortable est la plus forte ; je repars en serrant les dents.

Vers le bivacco Mangheneto

Une piste parfois forestière…

…parfois minérale

Dans la section fleurie entre le mont Conca et la Cima Bolenga, les nuages se délitent quelque peu, avant de reprendre le dessus

Le bivacco Mangheneto surgissant des brumes après une heure finale à l’aveuglette

La lumière matinale le met mieux en valeur

Quelques kilomètres plus loin, au bord du seul col routier de la chaîne de Lagorai, le refuge gardé à même la crête

La cabane est une récompense méritée. J’y achève ma plus grosse journée d’effort depuis le grand départ : 25 kilomètres pour 2000 mètres de dénivelé positif, dans la caillasse, le brouillard et le crachin, avec un sac bien chargé. Mais le pire est à venir, la marche du lendemain étant la plus rude de toute la séquence alpine de mon tour d’Europe.

L’orage annoncé n’avait en apparence rien d’exceptionnel ; depuis un mois, je le subissais tous les deux jours en moyenne, mais toujours en milieu ou en fin d’après-midi; cela me laissait une plage de temps suffisante pour profiter des paysages et atteindre le bivouac avant la saucée. Cette fois, il frappera dès la fin de matinée, avec foudre en rafale, déluge intermittent et grêle en option ; et après deux heures de pause, il explosera de plus belle, avec une puissance inédite, pour durer jusque tard dans la nuit.

Le premier orage m’est tombé dessus près du col de Forcella Valsorda. J’ai alors pris une décision médiocre : quitter la crête embrumée pour progresser en aval, sous les nuages, via un itinéraire rallongé et un terrain affreux, alternant pâturages boueux voire inondés et forêts en pente barrées de troncs d’arbres. J’y ai avancé à deux à l’heure, pour une journée au forceps qui m’aura vu accumuler 30 kilomètres pour 1500 mètres de dénivelé positif.

Une journée de lutte

Les pentes du mont Manghen

Je dépasse le lac delle Buse…

…ses contreforts…

…puis le Pala del Becco…

…par un sentier bien tracé…

…qui laisse à sa gauche la puissante barre du Cimon di Busa Grana…

…puis le lac delle Stellune…

…et file vers le col de Forcella Valsorda…

…au niveau duquel je quitte une ligne de crête…

…que je ne reverrai plus qu’entre deux nuages…

…avant d’y remonter pendant l’accalmie de début d’après-midi, au niveau du splendide col Sadole…

…dominé par le Cauriol Piccolo, passé lequel l’orage explose de nouveau

Les trois dernières heures, j’ai l’impression d’être un nageur, coincé entre les trombes d’eaux que m’envoie le ciel et des chemins si gorgés d’eaux qu’ils s’apparentent à un torrent. Dans la dernière grimpe, je n’ai plus qu’une obsession : atteindre, avant qu’un éclair me choisisse pour cible, mon objectif de la journée, le bivacco Forcella Coldosè, que je supplie d’être ouvert et en état. Il dépassera toutes mes attentes, en m’offrant un confort inédit en haute montagne : matériaux modernes, propreté impeccable, matelas confortable, eau potable, poêle, cartes, électricité, prises USB (!) et, pour couronner le tout, un garde-manger plein à craquer, que je me permets de délester d’une boite de cookie. En m’y réfugiant, je passe de l’enfer au paradis et savoure comme jamais un confort imprévu en contemplant, enfin au sec, l’orage se déchaîner comme jamais sur la montagne d’en face.

Le bivacco Forcella Coldosè

Pris au matin, le col Forcella Coldosè

Près du col, protégé par la cime Puchtateinz…

…une cabane petite mais parfaitement conçue…

…avec une cuisine fonctionnelle…

…et bien garnie…

…tout comme la literie 

En face, la cima d’Asta, qui aura subi toute la soirée la plus grosse salve d’éclairs que j’ai jamais observée

Les jours suivants, le temps sera plus clément. A l’aube, au col Forcella Coldosè, j’aperçois pour la première fois deux premiers chaînons dolomitiques, ceux de Latemar et du Catinaccio, situés plein nord, à une vingtaine de kilomètres. Un sentier file droit vers eux ; je préfère suivre une journée de plus la Translagorai, afin de conquérir le point culminant de la chaîne, la Cima di Cece. Une riche idée, tant sera réjouissante la section à venir.

Vers le bivacco Paolo e Nicola

Sous le col Forcella Coldosè, le lac delle Trute ; à l’horizon, le Latemar et à sa droite, le Catinaccio

Le lago Brutto

Je quitte les pentes de la Cima Moregna…

…pour celles, plus escarpées, des cimes Valbona et Valmaggiore…

…que je longe sur une voie pavée, avec vue sur le Latemar

Au col de Valmaggiore…

…le bivacco Paolo e Nicola, presque aussi coquet que le précédent

Je passerai la nuit au bivacco Paolo e Nicola, avant de quitter le Lagorai par un des sentiers qui le relie aux Dolomites. Dans l’immédiat, délesté de mon baluchon, je me fends d’un aller-retour vers la proche Cima di Cece, sommet du Lagorai. Une randonneuse m’avait vanté les panoramas dont on profite du haut de ses 2754 mètres ; elle n’aura pas menti.

La Cima di Cece

La chaîne du Lagorai…

…s’élève de pic en pic…

vers le Palon di Cece…

…puis en un mur final…

…donnant sur une cime d’ardoises étroites, avec vue sud sur la Cima d’Alta…

…vue ouest sur l’immense chaîne de Lagorai que j’ai longé en trois jours…

vue nord sur mes deux premiers objectifs dolomitiques, le Latemar et le Catinnacio…

…et vue est sur la fin de la chaîne de Lagorai, que je zappe, et derrière, les Pale di San Martino

De toutes les montagnes qui m’entourent, les plus sidérantes sont celles des Pale di San Martino. Je regrette soudainement de ne pas avoir inclus dans mon itinéraire ce groupe dolomitique. Y improviser un détour avant de repiquer vers le Catinaccio me coûterait presque une semaine de marche ; j’y renonce, en me promettant de travailler au cordeau la trajectoire future, pour ne pas avoir à sacrifier d’autres Dolomites.