[quinzième trek de l’Europe en 25 treks]
Les deux mois et dix treks dans les montagnes balkaniques constituent de loin la meilleure partie de mon tour d’Europe. J’y ai ressenti une douceur qui a tranché avec l’âpreté scandinave, et une liberté dont j’apprécie d’autant plus la valeur qu’elle a précédé un second enfermement, plus invivable encore que le premier et dont je ne vois toujours pas l’issue à l’heure où j’écris ces lignes.
Paradoxalement, le confinement de printemps a bonifié cet enchaînement de treks balkaniques. En changeant mes plans, il m’a permis de fusionner en une totalité cohérente les treks yougoslaves et bulgares, qui devaient originellement se dérouler sur deux années différentes. Surtout, au lieu du printemps, c’est en automne que j’ai découvert les Balkans ; une période idéale dans des montagnes presque entièrement composées de feuillus, qui gratifient à cette période le randonneur d’un incroyable dégradé de couleurs.
Mais si j’ai savouré chacune de ces neuf semaines balkaniques, c’est parce que le terrain de mes exploits est celui que j’affectionne le plus. Ni de la haute montagne, plus propice à l’alpinisme, ni une moyenne montagne un peu trop civilisée ; de la bonne montagne, celle où le randonneur est roi, tant ses moindres recoins sont atteignables à pied, celle qui dépasse souvent les 2000 mètres, parfois les 2500 mais jamais les 3000, celle que les éleveurs ou sylviculteurs n’exploitent pas ou à peine, et qui offre des paysages incroyablement contrastés, entre les steppes perchées du grand Balkan, les hauteurs minérales du Pirin, un mélange des deux dans le Rila, les monts arrondis de Serbie, les pentes arides de Macédoine, les chaînes escarpées d’Albanie, la côté découpée des bouches du Kotor, le balcon calcaire gigantesque de la côte croate et mon coup de cœur, les massifs perdus de Bosnie, aux pointes dégarnies et aux vallons emplis de feuillus multicolores. En bonus, les îles dalmates, au large de la Croatie, dans lesquelles j’ai passé quelques jours, moins toutefois que ce que j’escomptais, la faute à l’imminence de l’emprisonnement hivernal des Européens.
A ce terrain idéal, il faut ajouter bien d’autres éléments favorables : un balisage bien plus rigoureux que ce qu’en disent les internautes et qui, combiné à un GPS, annule tout problème d’orientation ; des sentiers souvent agréables, parfois un peu techniques, mais rarement vertigineux ou exposés, même s’ils offrent des panoramas innombrables ; de nombreux refuges non gardés en Bulgarie, en Bosnie et surtout en Croatie, ceux du Velebit présentant un réseau qui permet de se passer de tente pendant une semaine ; un coût de la vie incroyablement bas, sauf en Croatie, qui incitera même les petites bourses à festoyer et/ou dormir régulièrement dans les refuges gardés ou les villes des vallées ; la présence régulière de sources d’eau, si ce n’est sur la côte adriatique ; un dépaysement total, dans des pays si différents de ceux d’Europe occidentale, même si leur délabrement général pourrait déplaire à certains ; une solitude inédite en Europe, à part dans les principaux massifs bulgares et croates, isolement accentué par la situation politico-sanitaire ; enfin une grande solidarité avec les rares randonneurs que vous croiserez sur votre route.
Les circonstances ont de plus joué en ma faveur : après un été assez mauvais, l’automne a été doux et ensoleillé, et j’ai eu des conditions grandement favorables, si on excepte le passage au Monténégro et quelques jours en Croatie.
Dernier bon point, le rythme de la majorité des treks, celui que je préfère : autour d’une semaine, avec 150 a 200 kilomètres, assez long pour s’imprégner de l’atmosphère d’une région, assez court pour varier les plaisirs.
Dans un environnement si favorable et réjouissant, j’ai vite recouvré la forme physique qui me fuyait depuis la fin de la séquence scandinave. Après avoir digéré dans le Grand Balkan l’épuisement et la blessure au genou qui me pourrissaient depuis les premiers jours dans les îles Lofoten, j’ai bénéficié d’une condition physique optimale, pour quelques jours de marche parmi les plus intenses de ma vie, en Bulgarie, au Monténégro ou en Croatie.
Pas beaucoup d’ombres au tableau, si ce n’est, en dehors de la Croatie, l’état général de pollution et de délabrement des vallées et villes balkaniques ; l’absence de couverture téléphonique des opérateurs occidentaux, compensée par les wifis qu’on trouve dans le moindre hameau ; enfin les restrictions douanières nombreuses,. Elles m’auraient affecté si je n’avais pas, au fil des treks, naturellement passé les frontières par la montagne, pour huit franchissements clandestins dont au moins six illégaux.
En arrivant à Sofia, je connaissais les treks majeurs au programme, pas l’ordre dans lequel les réaliser. L’enchaînement finalement adopté aura été du à la volonté de réduire les passages de frontière et de finir à Zagreb, l’une des seules villes yougoslaves d’où l’on peut facilement transiter vers le reste de l’Europe.
Les onze treks balkaniques
Aux sept treks incontournables (15-16-18-19-20-21-23), j’en ai ajouté trois à l’improviste : le 17, composé de deux balades sur l’ancienne frontière yougoslave, histoire de tâter la Serbie puis de rentrer en Macédoine ; le 22, dans le modeste parc du Biokovo, le plus beau de Croatie derrière celui du Velebit ; enfin le 24, un panaché de quatre marches dans les îles dalmates, qui aurait pu en compter bien d’autres si on m’avait laissé libre. Quant au trek 25, il regroupe les visites de la dizaine de villes par lesquelles j’ai transité entre les treks, pour des marches urbaines parfois conséquentes, celle autour de Dubrovnik s’élevant à presque 40 kilomètres.
Le premier de ces treks balkaniques, dans le Grand Balkan, est loin d’être le plus marquant au plan des paysages. Pourtant, c’est l’un de ceux que j’ai le plus appréciés. Et pour cause, à peine évadé de l’enfer lapon, j’y ai retrouvé tout ce que j’aime : la chaleur, le soleil, un ciel dégagé, un panorama constant, des sentiers sauvages mais paisibles, une nourriture fraîche et bon marché et une atmosphère vaguement hellénique, dans ces contrées toutes proches de la Chalcidique grecque.
Le Grand Balkan est une arête montagneuse immense et dégarnie qui s’étire d’ouest en est, de la frontière serbe à la mer Noire, traversant de ce fait toute la Bulgarie. Un célèbre chemin de crête la parcoure de bout en bout sur 650 kilomètres, le Kom-Emine, section finale du sentier européen E3. J’en ai parcouru la partie centrale, la plus appréciée des randonneurs, la chaîne du Grand Balkan y prenant de l’altitude, alors qu’elle est irrégulière à l’ouest et s’affaisse à l’est en modestes collines.
Mon parcours dans le Grand Balkan (lien openrunner)
Me voilà lancé sur une crête oscillant entre 1500 et 2300 mètres, dans une ambiance tranquille mais à un rythme intensif : durant 4 jours, j’aurai avalé au quotidien presque 30 kilomètres et 1700 mètres de dénivelé positif.