L’Europe en 25 treks (mai – octobre 2020)

En février 2020, j’abandonnai emploi et logement dans l’optique d’un voyage à pied de vingt mois que je mûrissais depuis des années, le Tour du monde occidental. Timing catastrophique : dans la foulée, une hystérie sanitaire imprévisible et inédite s’empara de l’Occident. Vols annulés, pays fermés aux touristes, certains pour des années… Je me retrouvais bloqué, dans l’immédiat, en France, et en Europe à plus long terme.

Me refusant à l’idée d’avoir sacrifié pour rien une situation confortable, je m’élançai tout de même dès le déconfinement, déterminé à accomplir au moins la partie européenne de ce tour du monde avorté. C’est ainsi que je parvins, durant les cinq mois séparant les confinements de printemps et d’automne, à enchaîner 25 treks européens dans les trois régions mythiques du Vieux continent qui manquaient à mon tableau de chasse : les Alpes italiennes, les Balkans et la Scandinavie, même si je nourris, pour cette dernière, le regret de n’avoir pu découvrir que la Laponie norvégienne, et pas ses extensions suédoises et finlandaises.

J’aurai enchaîné une cinquantaine de séquences de marches, variant d’une demi-journée à trois bonnes semaines. Par souci de clarté, je les ai compilées en 25 treks hétéroclites, auxquels 25 récits spécifiques sont chronologiquement consacrés:

1 Grand tour de la Chartreuse (26/5 – 1/6)
2 Autour de l’arête du Vercors (2/6 – 5/6) 
3 Road-trek sur la côté ligure (6/6 – 15/6)
4 Le lac de Côme par ses trois rives (16/6 – 19/6)
5 Les Alpes orobiques d’ouest en est (20/6 – 26/6)
6 Le long du lac de Garde (27/6 – 29/6)
7 Trois semaines dans les Dolomites (29/6 – 17/7)
8 D’Autriche en Italie par les Alpes slovènes (17/7 – 23/7)
9 Version longue du Laugavegur (27/7 – 31/7)
10 Balades dans l’ouest islandais (26/7 – 1/8)
11 Tour du Jotunheimen (3/8 – 8/8)
12 Road-trek en Norvège occidentale (8/8 – 13/8)
13 Les îles Lofoten en cinq actes (15/8 – 24/8)
14 Copenhague à toute allure (25/8)
15 Traversée du Balkan central (27/8 – 31/8)
16 Les cimes bulgares du Pirin au Rila (1/9 – 9/9)
17 A la frontière de l’ex-Yougoslavie (10/9 – 13/9)
18 De Macédoine en Albanie par la Galitchitsa (14/9 – 16/9)
19 A travers les Monts maudits (18/9 – 24/9)
20 Le Monténégro par la côte (25/9 – 1/10)
21 Sur la Via dinarica bosniaque (3/10 – 11/10)
22 Virée croate dans le parc Biokovo (17/10 – 19/10)
23 Exploration de la chaîne du Velebit (20/10 – 26/10) 
24 A la découverte des îles dalmates (15/10 – 30/10)
25 Douze villes méditerranéennes à l’essai (15/6 – 7/10) [à venir]

On peut résumer le voyage par cette carte générale :

…par des cartes plus détaillées des trois régions explorées :

…ou par quelques chiffres :

Je tire de cet odyssée chaotique un bilan paradoxal, mélange ambivalent de jouissance et de frustration. Jouissance parce que j’ai surmonté, une à une, toutes les embûches qui barraient ma route. Les défis liés au terrain furent constants : dénivelés homériques, revêtements exécrables, particulièrement en Norvège, sentiers forestiers alpins barrés d’arbres sur des kilomètres, météo instable jusqu’à la fin août et parfois épouvantable ; pas un de ces obstacles n’a brisé ma motivation, ne serait-ce que brièvement. Plus que jamais, je me suis complu dans l’effort, et dans une solitude durable ponctuée de rencontres marquantes avec les riverains ou d’autres aventuriers. Je n’ai jamais ressenti de fatigue prolongée ou de lassitude et n’ai du gérer qu’un pépin physique handicapant, un hématome sévère au genou occasionné par une double chute dans un chaos rocheux des îles Lofoten. Presque chaque jour, j’ai marché du réveil au coucher, et parmi d’innombrables bivouacs, j’en ai passé, plaisir toujours renouvelé, une bonne cinquantaine dans des cabanes improbables amoureusement entretenues par les locaux. Mes itinéraires, préparés longtemps à l’avance ou sur le tas, suite à un changement soudain de programme, ont (quasiment) toujours été pertinents; aussi ai-je connu bien peu de temps faibles en cinq mois de vadrouille. Presque tout du long, j’ai admiré des paysages saisissants de grandeur. Quant à mon matériel, il a trinqué mais n’a pas vraiment été pris en défaut. Bref, que ce soit sur le plan physique, mental, technique ou organisationnel, je peux affirmer a posteriori que j’étais prêt à assumer le défi de la randonnée au très long cours.

Restait un paramètre, incontrôlable : l’hystérie sanitaire. Elle a brisé mes rêves d’hiver néo-zélandais et de printemps américain, retardé mon départ italien, écourté mon final balkanique. Pire, elle a constamment menacé ma progression par la perspective d’un reconfinement, l’a régulièrement contrariée par l’annulation en cascade des avions, bateaux et bus, et surtout par la fermeture de nombreuses frontières et, pour celles encore ouvertes, des règles de passages fantaisistes, changeantes ou imprévisibles. Un imbroglio tel qu’à une dizaine de reprises, dont au moins la moitié par obligation, je suis passé d’un pays à l’autre illégalement, par la montagne. J’aurai d’ailleurs goûté au statut évitable de clandestin pendant un gros mois, entre la sortie de Bulgarie et l’entrée en Croatie.

Certains voyageurs que j’ai croisé ont vécu les mesures politico-sanitaires comme un défi à relever. Pour moi, elles n’auront été qu’une insupportable pollution mentale. A chaque sortie de mon isolement montagnard, à chaque retour à la civilisation urbaine, nécessaire pour transiter d’un trek enchanteur à l’autre, j’ai vécu un brutal retour au réel, avec la même ritournelle orwellienne : avalanche de contraintes, paniquards masqués aux coins des rues, accueil parfois méfiant du à ma dégaine de vagabond, accumulation, sur internet, de mauvaises nouvelles ou de rumeurs anxiogènes, jusqu’à celle, soudaine, d’un second confinement imminent, qui m’a obligé, en urgence, à écourter mes pérégrinations dans les îles dalmates, à annuler mon retour hivernal en France et à me réfugier en catastrophe dans la maison paternelle des Cyclades. C’est de là-bas que je narre ce périple, attablé au balcon dans la douceur de l’automne grec.

Une certitude demeure : ce semestre rocambolesque n’a pas rassasié ma soif d’aventures pédestres, bien au contraire. Et si j’ai fait le deuil d’un hiver de marche dans l’hémisphère sud, je prépare déjà un autre projet d’ampleur qui parachevera dix ans de marche sur le Vieux continent: l’Odyssée pédestre.