Sur la Via Dinarica bosniaque (octobre 2020) – 1/5 – autour du Maglić

[vingt-et-unième trek de l’Europe en 25 treks]

Long de 1300 kilomètres, la Via Dinarica, le plus célèbre trek balkanique, traverse l’intégralité des Alpes dinariques, de la Slovénie au Monténégro. De son parcours très inégal et critiqué, deux sections se détachent positivement: la première côtière, dans le massif croate du Velebit, que je suivrai ultérieurement; la seconde, plus longue et intrigante, dans les montagnes de l’arrière-pays bosniaque. Je l’aborde depuis la frontière du Monténégro et en avalerai les deux-tiers les plus prometteurs en neuf jours de marche mémorables.

Mon trek en dans les montagnes de Bosnie (lien openrunner)

Ayant eu la bonne idée d’inverser l’ordre des treks monténégrin et bosniaque, c’est au Monténégro, sur un littoral moins atteint, que j’ai subi la terrible semaine d’orage inaugurant l’automne balkanique. Au soir où je rejoins la frontière bosniaque, le tonnerre lâche ses derniers éclairs. Les neufs jours suivants, deux seulement seront pluvieux, les troisième et cinquième; heureux hasard, c’est précisément ceux qui incluront un après-midi de repos en chambre. Le dernier jour, la situation se dégrade et je crains de finir le trek sous le déluge… Que nenni! Le ciel attendra que je me sois réfugié dans une confortable chambre de Mostar pour se déchaîner de nouveau.

Grâce à cette clémence, j’ai pu profiter sans limite de la crème des massifs de Bosnie, ou plus précisément d’Herzégovine. J’y ai goûté une solitude rare dans de si beaux endroits, n’ayant croisé sur le chemin, outre quelques paysans locaux, qu’un vieux couple de baroudeurs suisses au quatrième jour et une bande de jeunes de Sarajevo au huitième. Dans une région si reculée, on pouvait craindre le pire niveau balisage ou entretien des chemins; dans les faits, contrairement aux échos d’internet, il ne posent aucun problème sérieux. Les sources d’eaux sont nombreuses, les villages rares mais suffisamment fréquents pour dormir à l’hôtel ou remplir sa besace tous les trois jours, et les abris de toute sorte si nombreux qu’en neuf nuits, je n’en ai pas passé une seule en tente.

Mais ma principale source de jouissance aura été visuelle, dans des montagnes sauvages mais accessibles, aux sommets nombreux et dégarnis. Pas un nuage pour brider les panoramas, dans des massifs parsemés de forêts de feuillus offrant, en ce mois d’octobre, un panaché de couleurs plus saisissants que jamais. Même mes précédents treks automnaux, dans le Pays basque espagnol, les Bauges, les Baronnies provençales ou le Verdon, ne m’avaient pas autant gâté. En point d’orgue, le deuxième jour de marche, dans le massif de la Zelengora; peut-être mon préféré en cinq mois dans les montagnes d’Europe.

Seule ombre au tableau: l’ascension initiale du Maglić, plus haut massif bosniaque, faisant frontière avec le Monténégro. Je devais le franchir par la voie directe, avec passage au sommet et vues dantesques à la clef. J’aurais pu le faire en fin de matinée, alors que la montagne se dégageait des nuages; péchant par impatience, je me suis élancé dès l’aube, et plongé aux abords du sommet, dans une brume qui semblait devoir durer, ai préféré le contourner par une voie moins grandiose.

En rouge, la traversée un peu ratée du massif du Maglić

Moins jouissive que le trek aura été la transition depuis le précédent, qui avait pour théâtre la côte monténégrine. Depuis le port méridional d’Herceg Novi, un premier minibus me conduit à la capitale Podgorica, un second à Nikšić, dans le centre du Monténégro, un troisième au gros village septentrional de Plužine; en tout sept heures de transport et presque autant d’attente. Arrivé de nuit à Plužine, je me vois mal faire du stop sur une route déserte. Et pourtant, mon objectif, un abri bordant le hameau montagnard de Mratinje, est encore distant de 20 bons kilomètres! Heureusement, deux locaux attablés au seul café du village perçoivent mon embarras et se proposent de m’y conduire pour une dizaine d’euros. En route, alors qu’éclate un orage, ils contactent un ami qui m’offre le gîte pour la même somme. Me voilà au chaud, au pied du Maglić, à quelques kilomètres de la Bosnie!

Mon confortable refuge à Mratinje

J’imaginais faire la grasse matinée en attendant que la montagne se libère des brumes. C’est d’ailleurs ce qu’il aurait fallu faire, mais le propriétaire du refuge m’en dissuade, persuadé que le temps ne s’améliorera pas avant deux jours. Influencé par sa prédiction fumeuse, que semble confirmer un ciel plus que couvert, je ne vois pas l’intérêt de perdre du temps et m’attaque dès l’aube aux pentes du Maglić, point culminant de la Bosnie, du haut de ses 2386 mètres.

L’ample vallée que je remonte pas à pas

Mille mètres plus haut, un chemin jusque-là sympathique s’enfonce dans d’épais nuages balayés par des bourrasques si puissantes qu’elles me déstabilisent fréquemment.

Plongée progressive dans une brume d’altitude

Une demi-heure de grimpe dans la moiteur du brouillard et je dois choisir entre des sentiers qui tous deux permettent de franchir la frontière monténégro-bosniaque. Celui de droite, le plus direct, rallie presque à plat le sommet du Maglić, à peine plus élevé, au-delà duquel il plonge abruptement vers le canyon bosniaque de la Sutjeska. L’emprunter, c’est avancer pendant deux heures contre le vent, sans rien y voir. Le sentier de gauche, descendant, repasse vite sous la ligne des nuages et contourne le sommet par le lac Trnovacko; je m’y rabats à contrecœur.

Le lac Trnovacko

Au bord du lac, quelques hommes s’agitent autour d’une cabane. Entré clandestinement au Monténégro dix jours plus tôt et ayant l’intention de passer, un kilomètre en aval et tout aussi illégalement, la frontière bosniaque, je crains d’avoir affaire à des douaniers. Bien qu’ils se montrent méfiants, ce ne sont que des gardes forestiers, qui ponctionnent un euro à tous ceux qui passent par là. Ouf!

Alors que je discute avec eux, nouveau rebondissement: dans les hauteurs, les nuages se dissipent soudain, laissant apparaître le sommet du Maglić!

La paroi sommitale surgissant du brouillard

Que faire? M’en retourner au carrefour, 650 mètres plus haut, sans garantie que la brume ne fasse son retour? Je préfère aller de l’avant et m’élance vers la Bosnie, pour un septième franchissement illicite de frontière en trois semaines.

Entrée en Bosnie par la montagne

Les contreforts du lac Trnovacko

Un superbe sentier en balcon…

…longe la vallée occidentale du Maglić

…qui devient plus loin une véritable gorge…

Côté bosniaque, je rejoins un plateau herbeux parsemé de petits chalets touristiques, dont très peu semblent occupés.

Derrière moi, je distingue maintenant nettement la face nord du Maglić, par laquelle je serais arrivé si j’avais suivi la voie directe. A la vue de sa silhouette dégagée, je regrette de nouveau le mauvais choix matinale.

Le Maglić vu de Bosnie

Huit-cents mètres en aval, presque par hasard, je dégote un abri improbable: un mirador de chasse très propre qui peut accueillir deux dormeurs.

Un refuge de haut niveau pour ma première nuit bosniaque!

Luxe ultime: à travers la baie vitrée du mirador, j’aurai le loisir de contempler un orage nocturne aussi bref que furieux. Au petit matin, le ciel en garde des traces, et c’est avec un peu d’appréhension que j’avale quelques kilomètres d’asphalte dans le canyon de la Sutjeska.

Les gorges de la Sutjeska

Sur l’autre flanc du canyon, je repère les premières cimes d’un massif qui me réserve de belles surprises: celui de la Zelengora.