[vingt-troisième trek de l’Europe en 25 treks]
Pour dernier trek majeur de mon tour d’Europe, je cible le massif le plus étendu de toute la façade adriatique: la chaîne côtière du Velebit, longue de 100 kilomètres. J’ai mis une semaine à la traverser dans toute sa longueur.
L’itinéraire suivi dans le Velebit (lien openrunner)
Les montagnes calcaires du Velebit, accidentées, sauvages et densément boisées, ont presque intégralement échappé à la main de l’homme. Les seuls qu’elle a attirés: les marcheurs croates, pour qui elle représente un trésor national. Ces dernières décennies, ils y ont tracé une myriade de sentiers balisés, dont une portion fameuse de la Via Dinarica, qui traverse la chaîne de bout en bout et a servi de base à mon propre tracé. Dans sa partie septentrionale, la Via Dinarica emprunte sur 60 kilomètres le plus célèbre chemin montagnard de Croatie, la Premužićeva staza, ou sentier Premužić, une voie pavée séculaire qui taille sa route en faux plat montant dans des montagnes autrement impénétrables.
Autre marque de la passion des amateurs de marche pour le Velebit: un réseau de refuges non gardés si dense qu’il rend superflu l’usage d’une tente. En suivant la Via Dinarica, on croise un abri toutes les trois ou quatre heures de marche. Qui marche à gros rythme peut donc déjeuner dans une première cabane et dormir dans la seconde. La qualité des abris est très élevée; tous sont bien entretenus, disposent d’un poêle et certains, au design futuriste, offrent eau courante, électricité, matériaux modernes et baie vitrée donnant sur la montagne. Un cas unique dans toute l’Europe méditerranéenne!
Au-delà des sentiers et abris, c’est par ses paysages spectaculaires que le Velebit se démarque. Dominé par les feuillus, il réserve un festival de couleurs à celui qui le visite à la fin octobre. Mais cette période a aussi ses défauts, et après deux jours de beau temps, j’ai passé les cinq derniers sous un ciel prodigue en nuages bas et autres pluies automnales. Autre difficulté à gérer, la nourriture, dans une montagne qui n’offre aucun point de ravitaillement et peu d’endroits où casser la croûte, si ce n’est un refuge gardé dans le parc de Paklenica, tout au sud, deux à l’autre extrémité, dans le parc national du Nord Velebit, et au centre du massif, au col de la seule route qui le traverse, un tout aussi unique hôtel-restaurant. Les sources d’eaux, plus nombreuses, sont tout de même assez rares, et probablement taries durant l’été. Il faut avant tout compter sur soi-même!
Arrivé de Split, j’aborde le Velebit par le sud et le parc de Paklenica, dont les gorges calcaires font référence parmi les alpinistes européens. Je vais remonter la plus profonde d’entre elles, puis une crête saillante qui tend vers le Vaganski vrh, point culminant de tout le Velebit.
En rouge, ma journée et demie de marche dans le parc de Paklenica
Je démarre l’effort en bord de mer, au village de Starigrad.
Je m’engouffre immédiatement dans le canyon de Velika Paklenica, qui relie la côte au cœur du massif.
L’entrée du défilé
Pendant cinq kilomètres, j’y progresse en fond de gorge et prend tranquillement de l’altitude en ignorant les pistes latérales menant à des voies d’escalade.
La voie pavée qui remonte le canyon
Plutôt que de suivre, à l’aveugle, le canyon jusqu’à son terme, je profite du premier sentier accessible aux randonneurs pour m’en extirper par sa paroi orientale et le longer des hauteurs via une corniche ouverte et riche en panoramas.
Du haut du canyon de Velika Plakenica
Sa partie inférieure, dont je proviens…
Sa partie supérieure, que je longe en surplomb pendant une heure
Par-delà la canopée, j’aperçois des monts secondaires à l’ouest…
…comme à l’est…
…et plein nord, bien plus massif, le Vaganski vrh, sommet du Velebit
Gavé de vue, je m’en retourne en fond de vallée.
Le sentier coloré qui me ramène au creux des bois
A un carrefour de vallées, plusieurs bâtisses se détachent de la forêt.
Parmi elles, l’élégant refuge Paklenica.
J’y déjeune en racontant mes aventures à Nikola, le tenancier croate, qui manie un français parfait aux accents méridionaux. Non content de m’accueillir comme un roi, il refuse tout paiement et me renseigne longuement sur les sentiers et abris à venir.
En blouse bleue, au milieu de ses amis, le chaleureux Nikola
Le soleil couchant m’oblige à écourter les discussions. Conseillé par Nikola, j’ai ajouté à mon itinéraire direct une boucle dans l’est du parc, qui me permettra d’atteindre avant la nuit un abri dont je n’avais pas remarqué la présence, la cabane Ivine Vodice, et de longer le lendemain la crête du Vaganski vrh dans son entièreté.
La cabane Ivine Vodice, terrée sous l’arête, à la lisière de la forêt
Levé à l’aube, je marcherai sans interruption jusqu’au crépuscule d’une journée très courte, octobre oblige. Au menu, mon plus intense baroud croate: 32 kilomètres, 1500 mètres de dénivelé positif, 2000 de négatif, le tout dans la caillasse!
Au moment où je surgis des bois, le soleil me galvanise en arrosant la mer de ses premiers rayons.
Panoramas sur l’Adriatique d’est en ouest
Quelques nuages gênent mon baroud sur la ligne de crête. S’ils me laissent admirer la plupart de ses cimes, ils parasitent mon arrivée au sommet, sans parvenir à saborder complètement le spectacle; ils atteindront pour cela le surlendemain.
Quelques clichés de la crête la plus marquée du Velebit
Des pentes du Vaganski vrh, je goûte aux plus beaux panoramas du trek, à l’endroit où la crête s’étale en un plateau accidenté couvert de feuillus orangés.
Le plateau vallonné du Velebit
Un sentier m’invite à plonger dans ces bois oniriques.
Comme à l’habitude, je déjeune dans un confortable abri.
Le refuge Struge
Cette cabane est située au bord du parc Paklenica. Devant moi, les montagnes sauvages du Velebit central, auxquelles je consacrerai trois jours d’effort.