Alors que j’entame, avec huit années de recul, le récit de mon premier cycle de randonnées, je suis partagé entre la nostalgie d’une époque où quelques heures de marche représentaient un effort aussi douloureux qu’épique, et une impression tenace de honte au souvenir de mon équipement et de ma condition physique d’alors, tous deux pareillement risibles. Les photographies à venir en témoigneront bien assez !
C’est dans les Cyclades grecques que démarrent mes aventures pédestres ; nos aventures pédestres devrais-je-dire, puisque de 2009 à 2013, je les entreprendrai systématiquement avec mon frère Ivonig.
Dans l’enfance déjà, sans aimer spécialement marcher, nous avions fréquemment parcouru ensemble les montagnes de quelques îles du Dodécanèse, à destination de plages difficilement accessibles où nos parents aimaient s’isoler. Le farniente était alors l’objectif, la balade le moyen d’y accéder.
Notre père Yannick voyageait en Grèce bien longtemps avant de nous y emmener, et continua de s’y rendre sans nous lorsque se délièrent les liens familiaux. En 2005, il accomplit son rêve en acquérant une jolie maisonnette à Paros, dans le kastro de Parikia. L’année suivante, je m’y rendis quelques semaines avec Ivonig. Le voyage fut une déception, et si notre pauvreté d’alors l’explique en partie, la raison principale tenait dans le fait que le farniente continu ne suffisait plus à combler les adultes que nous étions devenus. Pour remplir des journées désespérément longues, nous entreprîmes quelques balades, à Paros, Fourni ou Samos, mais nous partions le long des côtes, à la recherche d’équivalents inexistants du sentiers des douaniers ceinturant la Bretagne ; il n’en résulta que des expériences déplaisantes. De retour en France, nous étions d’accord pour ne plus jamais retourner ensemble en Grèce, notre voyage sonnant comme la conclusion ratée d’une période enchanteresse de notre enfance.
La maison familiale de Parikia
Une rue du kastro proche de la maison
La maison en 2014 (elle comprend le premier étage du bâtiment + le balcon + la terrasse avec pergolas)
L’escalier menant à l’entrée
Moi-même déjeunant sur le balcon en 2009
Ivonig déjeunant dans le salon en 2009
Moi-même glandant sur la terrasse en 2009
Le coucher du soleil depuis la terrasse
En 2008, je retourne à Paros deux petites semaines, sans mon frère et avec mon ami Alix. Comme deux ans plus tôt, l’ennui domine bien vite nos journées. Nous le comblons en lisant. Après avoir fait le tour de ses bouquins, Alix se met à picorer dans la bibliothèque du paternel. Parmi les ouvrages qu’il survole, un guide de randonnée de Dieter Graf. L’un des parcours décrits passe quasiment sous la maison; Alix me propose de le suivre. J’accepte moins par volonté nette que pour tuer le temps.
La randonnée se révéle si plaisante que nous en effectuons une seconde le surlendemain, veille de notre départ. C’est la plus belle de l’île de Paros, allant de Dryos à Piso Livadi par Lefkes : elle est pour moi une révélation aussi bien physique qu’intellectuelle.
Revenu en France, je raconte le plaisir de mes deux marches à Ivonig, avec un enthousiasme tel que nous renions l’engagement d’autrefois et retournons à Paros dès le printemps suivant, dans l’idée de vadrouiller sur l’île depuis la maison familiale, en s’inspirant des tracés élaborés par Dieter Graf.
Dès notre premier parcours, mon frère est conquis, et au rythme d’une randonnée tous les deux jours, nous avons en une petite semaine accompli les trois plus fameuses qu’indique Dieter Graf sur l’île. En nous basant sur les cartes d’Anavasi, nous avons dans la foulée élaboré et réalisé deux tracés personnels, l’un sur la côte sud de Paros, de Dryos à Aliki, l’autre sur l’île d’Antiparos.
Nos esprits sortent marqués de ces cinq marches ; nos corps plus encore ! Avec nos muscles de lavettes urbaines et un équipement lamentable dont les photos suivantes offrent un témoignage éloquent, nous avons martyrisé nos pieds et systématiquement fini courbaturés.
Notre équipement grotesque de 2009 et ce qui en résulte
Le combo goulvenien : sandales, jean trop large, t-shirt miteux, sac à dos inadapté, cheveux longs
Le combo ivoniguien : chaussures de ville, jean, t-shirt tout aussi miteux
Variante goulvenienne : avec un pantacourt déchiré
Variante ivoniguienne : avec des claquettes
Résultat d’une journée de marche avec des claquettes
Malgré les plaies, les écorchures, les crampes et les ampoules diverses, ces premiers jours de marche ont déclenché en nous une passion qui n’a fait que grandir depuis, le tracé le plus décisif dans notre prise de conscience étant probablement celui entre Dryos et Lefkes, sur les chemins les plus préservés de toute l’île.
La randonnée Dryos – Lefkes
Le chemin s’enfonçant depuis Dryos dans la chaîne de Marpissa
Un segment préservé de la route byzantine traversant l’île
L’arrivée à la chapelle d’Agios Nikolaos
Du raisin séchant au soleil de septembre
Vue vers le nord-est du haut des montagnes de Paros
L’autre tracé marquant de nos balades à Paros est celui suivant le littoral entre Drios et Aliki. Nous l’inventons à partir de quelques sentiers visibles sur la carte Anavasi, que nous entendons compléter par des improvisations hors-sentier le long des côtes. Notre audace est mal récompensée; suite à une sous-évaluation du temps nécessaire pour l’achever, il nous faut le finir en trombe, sandales aux pieds, afin de ne pas rater le dernier bus pour Parikia. Comme le témoigne une photo précédente, prise à l’arrivée, notre voute plantaire a pris cher ce jour-là, mais ça valait le coup !
Arrivée sur la plage de Petri, près d’Aliki
Après quelques jours à bourlinguer sur Paros, nos ambitions vont à la hausse. L’idée d’explorer une autre île nous trotte dans la tête et nourrit nos conversations. De toutes celles qu’évoque Dieter Graf dans son guide, la plus attirante est sans conteste Amorgos, dont deux parcours comptent parmi ses préférés. Il était inconcevable de quitter les Cyclades sans nous y être rendus ; c’est ainsi qu’après quelques jours à Paros, nous nous procurons des billets aller-retour, afin de l’arpenter deux jours au milieu de la dernière semaine de notre séjour. Nous nous dirigeons vers un périple aussi éprouvant qu’inoubliable.