Premier voyage cycladique (mai 2009) – 2/2 – Amorgos

Parmi les randonnées proposées par Dieter Graf à Amorgos, les deux plus impressionnantes sont l’ascension, depuis le port d’Egiali, de son sommet, le Chorafakia, et le tracé qui, partant du même port et traversant toute l’épine dorsale de l’île, joint sa capitale, la Chora, nichée dans les collines surplombant le port de Katapola. Nous avons décidé de combiner les deux, en commençant par la première, en une journée et demi. Au vu notre impréparation physique et matérielle, un tel choix est ambitieux ; il l’est d’autant plus si l’on prend en compte les conditions dans lesquelles nous comptons dormir.

Arrivés de nuit à Egiali, nous bivouaquons à quelques mètres de l’endroit où démarre notre première marche, c’est-à-dire sur la plage, comme l’a souvent fait notre père autrefois. Nous nous imaginons une nuit paisible, il n’en sera rien. Allongés à même le sable sans tapis de sol, sur une plage battue par les vents, nous subissons en même temps la dureté de notre matelas naturel, les nuages de poussières et les moustiques, et ne fermons presque pas l’oeil de la nuit. Notre premier bivouac est un échec complet.

Notre premier bivouac sur la plage d’Egiali

L’emplacement choisi

Le couchage: deux sacs foireux trouvés dans la maison du paternel; repérez le désarroi dans l’œil d’Ivonig

Dès le petit matin, nous entamons le trek vers le sommet du Chorafakia, trop heureux de mettre un terme à une nuit quasiment blanche. Dès les premières pentes, notre motivation resurgit, stimulée par la beauté des sentiers et des paysages, et va croissante jusqu’aux abords pittoresques de la chapelle d’Agia Varvara.

D’Egiali à la chapelle d’Agia Varvara

Le beau kalderimi menant à Langada

La chapelle troglodyte d’Aghia Triadha

Le sentier menant à Agios Theologos, bordé de chênes kermesses

Le hameau abandonnée de Chalinaras

La chapelle naine d’Agia Varvara

Malgré notre faiblesse intrinsèque et notre manque de sommeil, nous avons gravi avec grand plaisir les 400 premiers mètres d’ascension. Une mauvaise surprise douche cependant notre enthousiasme alors que nous approchons le monastère d’Agios Theologios. Nous pénétrons en effet dans une épaisse masse nuageuse qu’on dit fréquente à cet endroit de l’île. Dieter Graf en parle dans son guide et déconseille fortement de gravir le Chorafakia par temps couvert, afin de ne pas se priver des vues superbes sur l’immense falaise bordant les dernières pentes du sentiers. Et en effet, passé le monastère, le mauvais temps gâche notre marche, si bien que nous nous jurons de retourner à Amorgos par grand soleil, ce qui sera fait deux ans plus tard (voir ici).

Ravalant notre déception, nous continuons notre route jusqu’à la chapelle d’Agios Stavros, perdue au milieu de nulle part à plus de 600 mètres d’altitude ; il ne sert à rien d’aller plus haut, surtout que le temps nous est compté, aussi choissons-nous ce moment pour revenir sur nos pas. Suit une longue descente, agrémentée d’un détour significatif durant laquelle la fatigue prend le dessus. Les derniers kilomètres sont si éprouvants qu’Ivonig s’endort une bonne heure sur la table du restaurant d’Egiali où se conclut notre aller-retour.

La fin de l’ascension du Chorafakia et la redescente

Le monastère d’Agios Theologios

En plein brouillard

Moi-même trempé d’humidité devant la chapelle d’Agios Stavros

Point de vue sur Langada durant la descente par une voie alternative

La chapelle que justifie notre détour

Lorsque mon frère resurgit de sa sieste, il reste quelques heures de jour. Il nous faut atteindre avant 11 heures le lendemain matin la place centrale de la Chora, à l’autre bout de l’île histoire de ne pas rater le seul bus descendant au port de Katapola avant qu’y passe notre bateau pour Paros. Entre Egiali et Chora, une randonnée de 4 bonnes heures si on la parcoure dans le sens conventionnel, mais nous la prenons dans l’autre sens, de la mer vers les hauteurs, ce qui implique une marche de 5 bonnes heures.

Notre plan, improbable, est de marcher jusqu’à la chapelle Agios Mamas, soit une bonne heure de route, de dormir à l’intérieur et de se lever avant le lever du jour pour joindre le plus vite possible la Chora.

La première partie du plan se déroule parfaitement. Si j’ai peu d’énergie, mon frère en regorge, requinqué qu’il est par sa sieste, et me motivant constamment, il gravit à vite allure la longue montée vers Agios Mamas, constituée essentiellement, sur 400 mètres de dénivelés, de séries d’escaliers traversant des hameaux. Il mène fermement notre duo jusqu’à la chapelle isolée qui, heureuse surprise, est ouverte ; nous y installons notre premier bivouac du genre, loin de toute présence humaine, et pouvons paisiblement nous y endormir, non sans avoir végété quelques heures devant un admirable panorama sur la mer Égée, éclairée par la lumière du soleil couchant puis de la pleine lune.

L’ascension vers Agios Mamas

Ivonig au départ d’Egiali ; tout comme moi, il porte à la main son pesant sac de couchage, nos sac à dos de base n’ayant quasiment pas de place.

Notre spartiate bivouac dans la chapelle : une serviette de plage fait office de tapis de sol commun

La chapelle d’Agios Mamas éclairée par la pleine lune

La soirée est une franche réussite ; la nuit un peu moins, dans une chapelle humide et fraîche où se balade un scolopendre ; quant à la matinée, elle se virera au calvaire. 

Comme prévu, nous décollons longtemps avant le lever du jour. L’orientation, déjà difficile dans ces conditions, l’est d’autant plus que nous sommes fatigués par deux courtes nuits, que nos lampes n’éclairent quasiment pas la sente, que nous n’avons pas de carte de l’île, si ce n’est celle très schématique du guide de Dieter Graf, et que ses indications textuelles sont presque inutiles puisque nous empruntons son tracé en sens inverse. Arrive ce qui devait arriver : nous nous égarons très vite et nous mettons à divaguer de champ en champ, en grimpant des murets de pierre branlants et en trébuchant fréquemment sur un sol jonché d’épineux et de caillasses. Notre errance désespérante ne prend fin qu’au lever du jour ; nous apercevons alors, en contrebas à l’horizon, la chapelle du hameau abandonné d’Asfodilitis, que nous cherchions en vain jusque-là, et chevauchant muret après muret au prix d’efforts coûteux, nous parvenons à l’atteindre.

L’errance d’Agios Mamas à Asfodilitis

Moi-même au lever, hagard

Ivonig au lever, tout aussi hagard

Perdus dans la nuit

La chapelle du hameau d’Asfodilitis

Point de vue, depuis Asfodilitis, sur le terrain traversé hors-sentier

Nous voilà de retour dans le droit chemin ! Le temps n’est cependant pas à l’euphorie : non seulement notre errance nous a coûté de précieuses heures, mais nos articulations n’en sortent pas indemnes : mon frère souffre d’un pied, moi d’un genou, et nous boitions légèrement tous les deux. S’il nous faut presser le pas pour ne pas rater notre bus, chaque accélération aggrave nos douleurs. Une heure après avoir dépassé Asfodilitis, nous n’avançons plus que par à-coups, nous blâmant mutuellement des erreurs d’orientation commises depuis notre réveil. Même l’arrivée au légendaire monastère de Chozoviotissa, but premier de notre trek, ne suffit pas à calmer nos différents. C’est dans une ambiance délétère que notre duo de pieds nickelés atteint la Chora, quelques dizaines de minutes avant le passage du bus, au terme d’une montée finale en lacets depuis le monastère qui restera comme l’une des pires épreuves physiques de notre vie de randonneur.

Le douloureux final de la randonnée vers la Chora

Vue latérale sur le monastère du Chozoviotissa

Photo frontale du monastère cherchant à copier exactement la couverture du guide de Dieter Graf

L’éclopé numéro 1 tentant de se remotiver en contemplant la nature

L’éclopé numéro 2 peine à retrouver sa bonne humeur en attendant le bus

Une journée si éreintante aurait pu nous dégoûter de la marche. C’est tout le contraire qui se produisit, et avec le recul, elle devint le moment mythique ou nous en sommes définitivement devenu des adeptes. De retour à Paros, nous nous jurons de revenir l’année suivante, avec un matériel décent, et d’explorer l’autre île tant vantée dans le guide de Dieter Graf, à savoir Naxos.

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