En 2010, notre seule source d’inspiration était le guide de Dieter Graf consacré au nord et à l’est de l’archipel des Cyclades. Parmi les îles qu’il y évoque, et outre Amorgos, que nous avons déjà visité, l’île la plus mise en avant est celle de Naxos. C’est évidemment autour d’elle que doit s’axer notre second voyage grec, d’autant plus qu’elle jouxte Paros, depuis laquelle on peut s’y rendre quotidiennement, même hors-saison.
Parmi les nombreux parcours décrits par Graf, deux nous intéressent particulièrement : la remontée de la vallée de Potamia jusqu’à Chalki et l’ascension du mont Zeus, sommet des Cyclades, depuis le bourg d’altitude de Filoti. Pour combiner les deux tracés, il suffit de joindre Filoti depuis Chalki en une heure par la route ; il existe même un beau sentier reliant les deux villages, que Graf n’évoque pas.
Arrivés à Naxos, nous prenons le bus pour Chalki. L’idée est de demander au chauffeur d’arrêter son engin au bord du sentier menant à la chapelle d’Agios Mamas, première étape du périple, mais fidèles à nos habitudes d’alors, nous lui donnons de mauvaises indications et il nous dépose à Galinado, ajoutant à notre programme du jour une inutile grimpette de trois quarts d’heure sur un goudron brûlant.
L’irritation née de cet énième égarement se dissipe dès l’arrivée au col : une vue enchanteresse nous y attend. Elle sonne le départ d’une de nos plus mémorables journées de marche. Sa première partie consiste en la traversée de la vallée encaissée de Potamia. Nous la savourons de bout en bout, depuis la descente vers l’ancestrale chapelle d’Agios Mamas jusqu’à la remontée parfois douce, parfois ardue, des jolis hameaux jalonnant son ruisseau.
La vallée de Potamia
Vue sur le pays intérieur de Naxos depuis le col ; à gauche, la vallée verte de Potamia
La chapelle abandonnée d’Agios Mamas dans son cadre naturel
L’arrivée à la chapelle d’Agios Mamas
L’église du village de Kato Potamia
Le chemin menant à Mesi Potamia, au travers d’un tunnel de verdure
Le village de Pano Potamia ; en arrière-plan, la colline d’Apano Kastro
Mis en joie par notre balade, nous picolons outre-mesure dans une taverne de Pano Potamia. Erreur de débutant : sitôt l’effet de l’alcool dissipé, nous n’avançons plus ! Passage à vide d’autant plus gênant que nous abordons le segment le plus pentu du parcours : l’ascension d’Apano Kastro, une colline couronnée d’une forteresse vénitienne en ruines, située en plein centre de l’île. De son sommet, on peut savourer une vue à 360 degrés sur les vallées alentour ; assurément l’un des plus beaux panoramas des Cyclades. C’est au ralenti que nous nous y traînons, suintant de sueur et de vapeurs éthyliques.
Autour de la forteresse d’Apano Kastro
La colline d’Apano Kastro ; en contrebas, la chapelle d’Agios Andreas
Les ruines de la forteresse d’Apano Kastro ; entre deux pans de murs, la jolie vallée de Tsikalario
Vue sur le sud-est de l’île ; à gauche, Chalki ; à droite le Mont Zeus ; au centre dans les hauteurs, Filoti, notre objectif du jour
Panorama lunaire sur les vallées du sud-ouest de l’île
Vue sur le nord-est de l’île ; au premier plan, un philosophe médite ; à l’arrière-plan, les pentes du Koronos, deuxième plus haute montagne de Naxos
Ivonig se lance dans la photo d’art
La chapelle abandonnée de la forteresse
Une tour de garde en ruines
Du fait de notre boulette initiale, d’une collation alcoolisée, d’erreurs d’orientations qui en résultent et d’une pause prolongée dans la forteresse vénitienne, nous avons accumulé les retards. Le soleil se couche quand nous arrivons à Chalki, et il fait nuit noire quand enfin nous atteignons le village perché de Filoti et son unique rue transversale style far-west.
La fraîcheur de l’air coupe notre envie de dormir à la belle étoile et nous cherchons un hôtel où échouer. Il ne semble cependant pas en exister dans ce village placé à l’écart des circuits touristiques. Je me renseigne en grec dans un café ; le tenancier me dit d’attendre, et après une demi-heure de doute, une vielle dame débarque, qui nous dirige vers une chambre aménagée sous l’un des deux restaurants du village. Il ne nous reste plus qu’à nous restaurer dans la taverne attenante, uniquement peuplée de gars du coin, dont l’un, parlant bien français pour avoir été dans la légion, nous cause longuement, d’un ton mi-amical, mi-moqueur. Il traduit parfois nos réponses à ses collègues, provoquant de grands éclats de rire.
Bien qu’authentique, la situation est étrange, et nous l’aurions peut-être écourtée si nous n’étions pas, dans le même temps, en train de déguster de succulentes pitas. Des centaines que nous avons ingéré, avant et depuis, il n’y en eut jamais de meilleures : pain croustillant, tomates et oignons goûteux, tzatziki maison relevé, frites coupées à la main, viande de porc du coin dont nous n’avons jamais retrouvé le goût, il n’y avait rien à y redire !
La pita ultime
Le lendemain est consacré à l’ascension en boucle du mont Zeus. Le chemin retour suit un paisible monopati faisant étape à la chapelle d’Agia Marina. L’aller, autrement plus ardu, consiste à gravir le sommet par sa pente la plus rude, le chemin se résumant au-delà de la cave de Zeus à de vagues sentes rocailleuses balisées par des cairns. A peine 600 mètres de dénivelés, rien de surhumain, et nous avons fait bien pire depuis ; à l’époque cependant, c’était notre ascension la plus difficile, et nous n’en sommes pas sorti indemnes, d’autant plus que, pâtissant comme d’habitude des indications trop vagues de Dieter Graf, nous nous sommes égarés dès les premières pentes.
L’ascension du mont Zeus
La chapelle perchée d’Agios Ioannis
Une pause à côté de la paisible fontaine d’Arion
La cave de Zeus, au-delà de laquelle le sentier disparaît quasiment
Vue depuis le sommet du mont Zeus sur ses pentes australes ; au loin, Ios et les petites Cyclades
Vue depuis le sommet sur le nord de l’île, où trône le massif du Koronos
La vallée verdoyante se découvrant à nous durant la descente vers Filoti
Un beau passage du sentier menant à Agia Marina
Un âne têtu bloque notre route quelques minutes
De retour à Filoti, nous spéculons sur un troisième jour de marche vers Moni, mais mon frère souffre d’ampoules contractées dès le premier jour de marche, qui ont atteint une taille impressionnante au terme du second. Nos médiocres investissements se sont montré insuffisants: nos pathétiques pompes décathlon à 30 euros ont sans tarder montré leur limites. Il nous faut renoncer à nos projets et rentrer dès le lendemain à Paros, en nous jurant de revenir un jour à la conquête de l’île avec un équipement digne de ce nom.
De retour dans la maison familiale de Parikia, nous observons intensément la carte Anavasi de Naxos, que nous avions eu le tort de ne pas emmener sur l’île, au profit exclusif du guide de Graf. Nous galvanisant mutuellement, nous nous prenons à rêver d’entreprendre un jour le tour général de ses massifs, en reliant les divers chemins recensés par de dantesques sections hors-sentiers. Ce qui nous paraissait alors présomptueux a été accompli avec la manière six ans plus tard (voir ici).
A moyen terme, nos projets étaient plus modestes ; ils consistent à revenir dans les Cyclades dès l’année suivante, afin de retourner à Amorgos. Et plutôt que de combiner cela avec des balades sur Paros, dont nous nous avons fait le tour, nous comptons y ajouter une seconde île extérieure, que Dieter Graf présente comme sa préférée dans un autre guide de la bibliothèque de mon père, en anglais celui-là et consacré au sud et à l’est de l’archipel cycladique. Cette île, c’est Sifnos.