Balades normandes (automne 2015) – 1/3 – sur le littoral du Cotentin

Au fur et à mesure qu’avancent les mois, j’ai de plus en plus de mal à me contenter de voyager avec Ivonig lorsqu’il peut se rendre disponible, et, à défaut, de marcher à la journée, seul ou avec d’autres amis. Aucun de ces derniers n’est prêt m’accompagner dans de plus longues entreprises, si ce n’est Sacha, de temps à autre. Je ne vois qu’une solution pour assouvir plus avant ma passion de la randonnée itinérante : partir seul.

Ce qui freine certaines personnes envisageant une telle entreprise, mon frère par exemple, c’est en premier lieu la perspective d’un bivouac solitaire, dans l’obscurité oppressante d’une forêt, l’oreille pleine des bruits étranges qui en surgissent constamment lorsque ceux de la civilisation ne viennent plus les couvrir. Je ne suis pas de ceux-là. Mes réticences sont d’un genre plus prosaïques : je crains l’ennui. Il me guette déjà après quelques heures de marche ; ne va-t-il pas devenir omniprésent si je m’isole plusieurs jours durant ?

Il me faut en juger sur le terrain. En octobre 2015, je planifie une randonnée de quatre petites journées et trois nuits. Pour diminuer les risques de me morfondre, mon smartphone, augmenté pour l’occasion d’une carte SD, est chargé de toute ma bibliothèque musicale, de podcasts sportifs et politiques, de quelques livres sous format PDF et d’une dizaine d’épisodes de série. Quant à la destination, elle devra se situer hors de Bretagne, terrain de jeu que je réserve à mes marches avec Ivonig.

Quelques mois plus tôt, en Normandie, j’ai fait le tour du Cap de la Hague à partir de Beaumont-Hague. Une boucle de deux jours accomplie avec mon ami Sacha, sur un littoral très escarpé, parfois plus qu’en Bretagne. J’élabore une randonnée complémentaire sur les rives du Cotentin. Elle démarrera à Barneville-Carteret, d’où je compte m’élancer vers le nord, le long du rivage. Arrivé sur les traces du trek précédent, je prévois de remonter dans les terres, à hauteur de Beaumont-Hague, et de redescendre sur la côte nord à peu près à l’endroit où je l’avais quittée avec Sacha. Il me faudra alors partir vers l’est, atteindre et traverser Cherbourg, puis continuer jusqu’au-delà du Cap Levi. C’est la même covoitureuse qui me dépose près du début du parcours et me récupère à son terme.


(lien openrunner)

Le périple débute en début d’après-midi. Après avoir dépassé le cap de Carteret, je préfère longer l’immense plage qui s’étend jusqu’au cap du Rozel plutôt que de faire le tour du massif dunaire, ce qui me contraint à marcher presque douze kilomètres sur un sable mou et humide. Un effort violent, bien pire que ceux que j’ai l’habitude de fournir dans les montagnes grecques. Il me coûte sur le plan physique mais aussi mental, la butte où il doit se conclure étant visible à l’horizon dès le départ et ne semblant jamais s’approcher.

Ce calvaire terminé, j’accomplis un vaste détour par une vallée intérieure, à destination de la Roche à Coucou, une colline surplombant l’anse de Sciotot que j’atteins à la nuit tombante, avec 25 bons kilomètres dans les jambes. S’y trouve une aire de pique-nique idéale pour mon premier bivouac solitaire. L’ayant dressé de nuit et levé à l’aube, je n’ai pu le photographier. Solitude ou pas, après une journée de voyage et de marche ayant immédiatement suivi trois nuits de travail, je m’endors sans souci.

Si ce n’est le passage du cap de Flamanville, la matinée de marche qui suit n’est guère exaltante : une côte construite, peu de petits chemins, beaucoup de voies carrossables et de détours dans les terres. Passé Siouville-Hague, je me lasse de suivre le médiocre sentier balisé du GR223 et pénètre malgré l’interdiction dans le système dunaire de Biville. Un site impressionnant, coincé entre la mer et les collines de l’intérieur du pays ; certaines dunes s’élèvent à plus de cent mètres de haut. Aux abords de la Mare de Vauville, elles rapetissent. Il m’est loisible de les contempler depuis les hauteurs, au terme d’un détour par le village de Biville.

Les dunes de Biville et la Mare de Vauville

La fin du système dunaire, vu depuis la dune jouxtant le village de Biville

Au sein des dunes

La Mare de Vauville ; au loin, le Cap de la Hague

Les boucs de la Mare de Vauville

Peu avant le village de Vauville, je repique dans les terres, à travers des vallons sauvages où s’étend à perte de vue une lande de fougères orangées.

Les landes de Vauville

Un difficile passage hors-sentier, quelques kilomètres de route, la visite du hameau de Gruchy, où a grandi le peintre Millet, et me voilà sur la côte nord, de l’autre côté du Cap de la Hague. Ce coin de littoral, dominé par l’abrupt rocher du Castel Vendon et magnifié par les couleurs d’automne, ne peut manquer de m’enchanter. Il est difficile cependant, entre les fougères et la caillasse, d’y trouver un coin plat pour poser son bivouac. Je me contente d’un interstice herbeux, entre une barrière et la falaise. L’improbable emplacement remplit bien sa fonction : au réveil, j’ai bien récupéré des 35 bornes de marches de la veille.

Le rocher de Castel Vendon

Castel Vendon, vu depuis les hauteurs de Gruchy

Le rocher depuis le sentier du littoral

Mon bivouac, dans la tente une place prêté par mon ami Sacha

La suite du parcours ; au fond, le premier village côtier entourant Cherbourg la maudite

La mauvaise nouvelle ne vient pas de mon corps mais de la météo. La pluie qui a démarré vers minuit ne veut pas s’interrompre, m’obligeant à lever le camp sous son joug. Elle ne cessera pas de la journée. Ajoutez-y le froid, et plus encore le parcours qui m’attend, consistant principalement dans la traversée interminable de l’horrible métropole de Cherbourg, et vous comprendrez pourquoi je considère cette journée de marche comme la plus désagréable de ma vie. Ma déprime est telle dans ce cloaque urbain qu’après l’avoir enfin dépassé, je savoure comme un nectar l’heure finale de marche, dans les hauteurs vertes de Bretteville ; et ce alors que je suis trempé jusqu’aux os, et que la pluie est plus intense encore qu’au matin. Bien content d’en avoir terminé, je pose ma tente à la pointe du Heu, contre le mur extérieur d’un ancien fortin.

Le sentier du Grand Val, dans lequel je jubile après m’être extirpé de Cherbourg

En comparaison du troisième jour, le quatrième est paradisiaque. Je me balade sous le soleil, le long d’une côte douce et préservée semblable à celle du sud de la Bretagne. Passé Cap Lévi et son fortin rénovée, je constate qu’il me reste du temps avant l’heure fixée par ma covoitureuse. Plutôt que de suivre le littoral jusqu’à mon objectif, un hameau au-delà de Cosqueville, j’entreprends un long détour par l’intérieur des terres et la vallée des Moulins. En avance avant de pénétrer dans cette zone forestière, j’en sors en retard, après m’être égaré dans un bocage arpenté sans carte, et dois parcourir à toute berzingue les derniers des 120 kilomètres du trek.

Autour du Cap Lévi

Le phare du Cap Lévi

L’entrée du fort du Cap Lévi

A l’intérieur du fort du Cap Lévi

J’achève ma première randonnée au long cours solitaire avec un bilan d’autant plus positif qu’elle a été effectuée sur un parcours inégal et sous des conditions météorologiques difficiles : ainsi puis-je être certain que le plaisir ressenti n’est pas du aux conditions parfaites de l’exercice, mais bien au fait qu’il convient intrinsèquement à mes attentes. Sans attendre, j’en planifie un second, toujours en Normandie, cette fois à l’intérieur des terres.

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