Avant de présenter la randonnée que nous avons accompli au mont Athos, j’évoquerai en quelques mots la nature de la mythique presqu’île. En troisième lieu, je tenterai de répondre aux questions les plus courantes que se posent les randonneurs désireux d’y effectuer un voyage à leur tour.
Ce qu’est le mont Athos
Le mont Athos est un endroit à nul autre pareil, une péninsule coupée du monde, uniquement accessible en bateau, interdit aux femmes et où les laïcs hommes ne peuvent pénétrer que quelques jours. Y vivent des milliers de moines qui se dirigent eux-mêmes à travers une république monastique autonome, placée sous le patronage du patriarche de Constantinople et dont le fonctionnement complexe n’a pas changé ni été interrompu depuis presque un millénaire.
Certains moines sont des ermites, d’autres s’isolent à deux ou trois dans des fermettes, la plupart vivent dans l’un des vingt monastères fortifiés officiellement reconnus ou leurs dépendances, selon un mode de vie plus ou moins communautaire. Si la plupart des moines proviennent d’un pays orthodoxe, en premier lieu la Grèce et la Russie, on trouve toutes les nationalités dans leurs rangs. La plupart des monastères sont grecs, mais on dénombre un monastère russe, un serbe, un bulgare, et le plus gros skite (monastère rattaché à un autre) est roumain.
L’île de la Vierge est à la fois le centre spirituel du monde orthodoxe, un trésor architectural, un immense musée d’art religieux et un paradis naturel fourmillant de sentiers ancestraux destinés à relier entre eux les monastères.
De nombreux fidèles viennent chaque année en pèlerinage dans l’un des principaux monastères, en premier lieu Vatopedi, Iveron et Dionysiou ; parmi les voyageurs, on compte très peu de touristes, et ils préfèrent souvent transiter de monastère en monastère par un système de minibus rudimentaire.
La préservation de la nature et des sentiers, la richesse incroyable du patrimoine et l’absence quasi-totale d’autres marcheurs suffisent à démontrer l’intérêt que peut représenter le mont Athos pour le randonneur qui lit ces lignes. S’y ajoute un dernier avantage, non négligeable : le fait d’être logé et nourri, gratuitement qui plus est, dans les monastères où vous ferez halte pour la nuit.
Selon une règle qui souffre bien des exceptions, les laïcs ne peuvent pas rester plus de sept ou huit jours sur la presqu’île. C’est le timing idéal pour en faire le tour, avec 4 à 6 heures de marche au quotidien.
La genèse de notre projet
Au retour de notre première randonnée à Naxos, durant laquelle nous avions gravi le mont Zeus, sommet des Cyclades (voir ici), mon frère Ivonig et moi divaguions à grand renfort de bière sur une carte de la Grèce. Ainsi imaginions nous partir à l’assaut d’autres cimes célèbres du pays, notamment ses deux plus mystiques, le mont Olympe, ce qui fut fait en 2017 (voir ici), et le mont Athos, dont je connaissais déjà l’existence mais que je localisai pour la première fois. Les repères altimétriques de la carte permettaient de constater qu’il s’élevait à plus de 2000 mètres et qu’à l’exception de ses pentes septentrionales, toutes plongeaient presque immédiatement dans la mer Égée. Un endroit fascinant où nous nous jurâmes de nous rendre un jour.
Peut-être n’aurions-nous jamais tenu cette promesse si notre père Yannick ne nous met pas en 2014 le pied à l’étrier. Amateur d’art religieux orthodoxe et stimulé depuis des décennies par la lecture initiatique des bouquins de Jacques Lacarrière, il rêve de découvrir la Montagne sainte et nous propose cette année-là de partir tous les trois une semaine sur l’île afin de visiter les plus célèbres de ses vingt monastères. Il finance le voyage, que je dois en retour organiser. Le marché me convient ; je me procure une carte, le descriptif écrit des randonnées du coin, consulte les sites dédiés à l’endroit et élabore un circuit entre les monastères de l’île, en ignorant les plus excentrés, tels que celui de la Grande Laure au sud ou celui d’Esphigmenou au nord. Sur les 20 monastères, nous devons en visiter 14. Nous fixons à mai 2015 la période du voyage et nous procurons tout le nécessaire, les billets d’avion bien sûr mais aussi les autorisations officielles permettant de pénétrer ce territoire saint en tant que laïcs.
Le tracé que j’avais prévu d’accomplir avec le paternel
Quelques semaines avant notre départ, c’est la tuile : des problèmes de santé empêchent mon père de nous accompagner. Passée la frustration de ne pouvoir réaliser ce qui aurait été une sorte d’accomplissement familial, nous faisons contre mauvaise fortune, bon cœur, et changeons radicalement nos plans. Ce qui devait être un voyage culturel agrémenté de marches devient un défi physique et surtout organisationnel, puisque mon frère et moi tentons le pari de relier à pied, en seulement sept jours, l’intégralité des 20 monastères, en escaladant au passage le mont Athos.
Le nouveau tracé planifié après l’annulation de mon père
Ce pari apparemment inédit, nous l’avons réussi avec un bémol, l’utilisation d’un bus entre les monastères de la Grande Laure et de Karakalou, et d’un camion militaire entre celui de Philotheou et le village de Karyès, sur deux segments du parcours où n’existent plus que des pistes carrossables.
Le tracé effectivement réalisé ; en pointillés, les deux sections que nous n’avons pas parcouru à pied
Le tour des monastères du mont Athos a été pour nous une expérience fascinante. Le mélange qui s’y opère entre paysages époustouflants, monuments grandioses et atmosphère mystique est à notre avis sans égal dans le monde. Nous y avons vécu une semaine marquante et conseillons à tous les lecteurs (masculins) de suivre notre exemple.
Quelques conseils pour ceux qui désirent se rendre au mont Athos
Comment obtenir et renouveler le diamonitirion?
Pour obtenir ce titre de séjour permettant d’entrer au Mont Athos, il faut d’abord contacter l’office des pélerins à ce numéro: 00 30 2310 252578. Pour plus de détails sur l’office (et sur le Mont Athos en général), aller sur cette page. En appelant le numéro que j’ai indiqué, vous tomberez sur un Grec qui parle parfaitement anglais et français. Il vous demandera juste de lui adresser par e-mail le jour de votre embarquement, le nom des passagers prévus et la copie de leur carte d’identité et vous enverra un mail de confirmation quand vous aurez tout envoyé. Vous serez ainsi inscrit sur la liste des pèlerins. Le diamonitirion devra être retiré directement à Ouranoupoli, le petit port d’où partent les navettes pour le Mont Athos, dans un bureau tout proche du lieu d’embarquement. Il vous en coûtera 20 euros. Conservez précieusement ce papier une fois sur l’île ; dans certains monastères, il faut impérativement le présenter pour pouvoir passer la nuit. Le diamonitirion permet de rester quatre jours sur l’île ; pour prolonger le séjour, il faut le renouveler à Karyès, dans le bâtiment gouvernemental. Ce dernier n’est officiellement ouvert aux pèlerins que trois matins par semaine, mais en insistant, vous obtiendrez votre renouvellement même lorsqu’il est théoriquement fermé, pour une durée qui peut-être bien supérieure aux quatre jours dont parlent certains sites.
Comment se rendre au mont Athos?
Le meilleur moyen de se rendre au Mont Athos est de prendre un avion low-cost, directement vers Thessalonique, ou avec une escale à Athènes. De l’aéroport de Thessalonique, un taxi vous emmènera pour une dizaine d’euros à la gare routière KTEL de Chalcidique; trois ou quatre bus y font quotidiennement l’aller-retour vers Ouranoupoli. De ce port partent chaque jour quatre ou cinq navettes pour le mont Athos, de diverses tailles, certaines se rendant exclusivement au petit port de Daphni, d’autres desservant au passage les monastères proches des côtes. On trouve ici toutes les précisions sur les horaires de départ. Je vous conseille de réserver à l’avance vos places sur le bateau aller et retour.
Comment s’orienter sur l’île ?
L’orientation est très aisée. A chaque monastère, le sentier vers les monastères voisins est indiqué sur des panneaux. Sur la route, il y a peu d’alternatives, et aux rares croisements, la bonne direction est toujours signalée. Pour déchiffrer le nom des monastères sur les panneaux indicateurs, il suffit de connaître l’alphabet cyrillique, même si l’écriture stylisée utilisée sur certains panneaux peut compliquer la tâche. Les cartes et textes explicatifs vendus sur le net sont donc quasiment inutiles, si ce n’est pour planifier votre parcours au préalable.
Le panneau le plus stylisé que nous avons vu. Il faut lire « Ι. Μ. Δοχειαρίου », abréviation de « Ιερά Μονή Δοχειαρίου », qui signifie « Monastère saint de Dochiariou »
Où dormir ?
De même que la baignade, le bivouac est interdit, et même si personne ne viendra vous contrôler en pleine forêt, il est préférable de faire halte chaque soir dans un monastère ou un skite, dont les portes sont ouvertes jusqu’à l’office vespéral, vers six heures du soir, et parfois au-delà. Je vous conseille de réserver à l’avance votre place dans les monastères où vous comptez dormir ; tous sont joignables, à l’exception de celui d’Esphigmenou, qui vit en semi-autarcie et accepte avec plus de réticence les non-orthodoxes, même si nous avons pu y passer la nuit. Si vous comptez comme nous bivouaquer au sommet du mont Athos, évitez le refuge de la Panagia, situé quelques centaines de mètres sous le point culminant ; il est insalubre. Mieux vaut dormir au sommet. La chapelle qui s’y trouve dispose d’un petit dortoir. Elle était en construction et fermée aux pèlerins en 2015, mais doit à présent être ouverte. De toute façon, il est possible de dormir à l’extérieur, comme nous l’avons fait ; préparez alors une bonne couche, il fait très frais à cette altitude !
Où boire ?
Chaque monastère dispose d’une source. Vu la fréquence à laquelle vous en croiserez, il est inutile d’emporter plus d’un litre et demi d’eau par personne, excepté pour l’ascension du mont Athos. Durant cette dernière, des sources sont disponibles dans les skites intermédiaires, au croisement du stavros et au refuge de la Panagia. L’eau est douteuse dans ce dernier lieu ; prévoyez des pastilles de purification si vous comptez vous y rafraîchir.
Où manger ?
Dans les monastères, les repas ont lieu dans le réfectoire qui fait face au katholikon, l’église principale. Ils se déroulent immédiatement après l’office liturgique du matin et du soir, tenus selon un horaire variable d’un monastère à l’autre, vers 9h et vers 18h. Les repas font partie intégrante de l’office, même si on n’est pas tenu de participer à l’un pour participer à l’autre. Pendant le repas, un moine continue la prière, le reste de l’assemblée se restaurant en silence. Dans certains monastères, tout le monde mange ensemble ; dans d’autres plus rigoristes, comme celui d’Esphigmenou ou de Konstamonitou, les orthodoxes ont préséance et mangent avant les autres pèlerins. La nourriture ne comprend pas de viande, rarement du poisson ; elle est servie avec du vin. Dans les monastères les plus fréquentés où nous avons dormi, tels celui de Dionysiou, elle est médiocre ; dans d’autres comme celui de Konstamonitou ou Pantokrator, elle est bonne ; dans celui d’Esphigmenou, elle était même excellente. Entre les deux repas officiels, il est possible de demander à manger aux moines ; nous n’avons pas eu cette audace, contrairement à d’autres pèlerins. En dehors des monastères, vous devrez vous sustenter par vous-mêmes, sauf lorsque vous passerez dans le village de Karyès, où se trouvent quelques tavernes et épiceries.
Quand partir ?
Comme ailleurs en Grèce, mieux vaut partir au printemps ou en automne, afin d’éviter les grosses chaleurs. Vu que la baignade est interdite et que la température de l’eau n’entre pas en jeu, je conseillerais la période fin avril – début juin, afin de profiter de la verdure et des jours allongés. Plus globalement, les randonneurs intéressés par l’endroit devrait s’y rendre au plus vite. En effet, le Mont Athos commence à se transformer en un lieu touristique. Il y avait 50 000 pèlerins qui y rentrait par an voilà dix ans, cette année les autorités prévoient d’atteindre le chiffre de 150 000. Les nouveaux venus se comportent de moins en moins dignement, sillonnant les monastères à bord de voitures privées, sur des routes carrossables qui remplacent progressivement les sentiers mythiques d’antan… Les Grecs se souciant peu de préserver leur patrimoine, ça pourrait vite partir en vrille. Des pèlerins assez perplexes en parlent ici. Bref, si vous désirez visiter l’île, dépêchez-vous avant qu’elle soit défigurée. Il n’est déjà plus possible de faire le tour intégral sur des sentiers, même si les sections de carrossables restent encore minoritaires. Pour combien de temps?