Les batteries chargées à bloc après un sommeil de quinze heures, je compte bien compenser ma courte onzième journée de marche par une douzième plus intensive. Elle le sera en effet, et même bien plus que je l’aurais souhaité, la faute à un final rocambolesque.
En bleu, la douzième journée de marche (lien openrunner)
Après un départ sur une crête soumise à des vents toujours aussi violents, je bifurque dans un raidillon plongeant vers l’océan, 600 mètres plus bas. Sur mon chemin, le village d’Afur, dont les bâtisses quelconques sont magnifiées par leur situation.
Vers le village d’Afur
Le départ en crête de Taborno
Un minuscule enclos en pierre battu par les vents
Vue en arrière sur le village de Taborno
Je plonge dans la vallée
Le village d’Afur
Vue rétrospective sur le Roque de Taborno
L’église d’Afur
Au-delà d’Afur, la pente s’adoucit. J’évolue à présent dans une vallée verte, barrée en son milieu par une paroi rocheuse incongrue au bord de laquelle a été implantée une fermette particulièrement photogénique. Le ruisseau qui trace sa route en direction de la mer forme ça et là des bassins plus ou moins boueux. Dans l’un d’eux, plus clair que les autres et alimenté par une petite cascade, je décide de faire ma toilette. L’eau est plus fraîche que je l’imaginais ; au moins rend-elle l’expérience revigorante.
Un bain dans la vallée
La vallée où me conduit le tracé
Des chèvres le tapissent de crottes
Le flanc occidental de la vallée
La paroi rocheuse dressée au milieu de la vallée
La fermette blottie contre la paroi
Une autre ferme nichée dans les hauteurs, avec ses cultures en terrasse
Le lit du ruisseau
Le bassin où je me lave
Peu après m’être relancé, j’atteins le rivage. C’est la première fois que je me trouve au niveau de l’océan depuis mon départ, presque deux semaines plus tôt. Je vais le longer plus ou moins fidèlement pendant deux jours, en direction de la pointe de l’Anaga, extrémité orientale de Tenerife.
Face à l’océan
L’arrivée sur la côte
La plage de Tamaiste
Vue vers le littoral ouest et les collines de Las Rositas
Vue vers le littoral est et la Punta Poyata
D’ici le village de Taganaga, je vais progresser en bord de côte, à hauteur variable. Au-delà de la Punta Poyata se dévoilent soudainement dix kilomètres de rives brumeuses. Au centre du splendide tableau, ces deux pyramides naturelles que forment le Roque de las Animas et le Roque de Enmedia ; je ne me lasse pas de les prendre en photo, tout en progressant sur un sentier semblable à ceux que j’ai l’habitude d’arpenter sur le littoral breton, c’est-à-dire plus physique qu’il n’y paraît. Les vues s’enchaînent jusqu’au village de Taganaga, où un burger médiocre peine à récompenser mon effort matinal.
Le sentier côtier menant à Taganaga
Un aperçu du sentier
La vue fascinante au-delà de Punta Poyata
Le chemin parcouru
Autre vue sur les deux pics rocheux
Un reposant replat
Au bord du rivage, le port de Tachero
Quelques cultures en terrasse dépassées aux abords de Taganaga
Les premières maisons de Taganaga
Le village de Taganaga
Son église
Ne trouvant pas le chemin censé passer entre le Roque de las Animas et le Roque de Enmedia, je fais le tour du second par l’intérieur des terres. Au col, je rejoins la route et savoure quelques panoramas supplémentaires depuis un belvédère touristique. Sous celui-ci, un sentier dont les premières portions sont imperceptibles descend abruptement vers le village côtier d’Almaciga, où je déboule alors que le soleil se rapproche de l’horizon.
Entre Taganaga et Almaciga
Vue de près sur le Roque de las Animas et le Roque de Enmedia
Coups d’œil en arrière vers Taganaga
La suite du parcours vue du belvédère
Sur la route d’Almaciga, le hameau de Rosa de Andres Luis
A partir d’Almaciga, plutôt que rejoindre le village d’El Draguillo par l’asphalte, je me suis mis en tête de bifurquer vers l’intérieur du massif de l’Anaga etde grimper jusqu’à la route traversant ledit massif par sa crête centrale, 800 mètres plus haut. Sur ces cimes aplaties et couvertes de forêts protectrices, j’espère trouver un lieu propice au bivouac ; le lendemain, d’autres sentiers me permettront de redescendre vers El Draguillo.
Ce plan en tête, je m’engage dans un sentier remontant le ruisseau du village qui est censé, selon les cartes d’opencyclemap, me hisser vers la route au terme d’une grimpe soutenue. D’abord très nette, la trace s’efface progressivement dans les fourrés, ce qui me plonge dans une certaine circonspection.
J’ai plus ou moins avalé 200 des 800 mètres de dénivelé quand un berger descendu des hauteurs vient à ma rencontre. Je crains qu’il me rabroue pour m’être infiltré dans sa propriété. Au contraire souriant et affable, il s’enquiert de mes intentions. Je lui montre mes cartes ; il m’explique que la trace que je suis disparaît bien vite complètement, que le tapis de végétation devient plus haut une vraie jungle entrecoupée de falaises et qu’un Allemand ayant comme moi cherché à la traverser l’année précédente s’est cassé la jambe et a été retrouvé au seuil de la mort par des secouristes.
Refroidi par son anecdote, je lui demande s’il est possible d’atteindre la route autrement. Il m’explique que la seule façon est de revenir quelques temps sur mes pas, d’obliquer à droite à un endroit qu’il me désigne précisément et de grimper hors sentier le flanc nord du vallon. J’atteindrai alors une crête secondaire qui rejoindra progressivement celle que je vise.
Mes cartes affichent en effet cette alternative. Je retourne au croisement indiqué par le berger et avale à grandes enjambées une pente très inclinée et truffée de buissons hostiles. Resté en bas à m’observer, le berger me réoriente de temps en temps à grands renforts de cris et de mouvements de bras. Une fois au sommet, je trouve une trace très nette filant sur la crête. Rassuré, je salue mon sauveur et repars de plus belle.
L’hésitante sortie d’Almaciga
Un sentier très net me permet de sortir d’Almaciga
Plus avant dans les hauteurs, il l’est de moins en moins
La pente gravie hors sentier sur les conseils du berger, visible en bas
La crête sur laquelle je débouche et qui doit me conduire sur les cimes de l’Anaga
Vue depuis la crête sur la vallée que je comptais initialement remonter
Malgré l’effort intense qu’il me faut encore fournir, je suis d’excellente humeur, croyant avoir réglé mes problèmes d’orientation. Conviction bien présomptueuse ! A 400 mètres de hauteur, le sentier est encore très clair quand l’arête, conformément aux cartes, incline vers le sud ; 50 mètres plus haut, il en va tout autrement : il n’y a plus devant moi qu’une mer de buissons difficilement franchissable. Après avoir lutté intensément pour m’élever d’à peine 20 mètres, je comprends qu’il me sera impossible de rejoindre la route, située au moins 300 mètres plus haut. Je reviens sur mes pas jusqu’à un croisement repéré plus tôt et emprunte une voie alternative semblant se diriger vers la route par le flanc gauche de la crête.
Je tente de me convaincre que ce sentier est le bon, mais il finit par descendre dans le vallon et débouche dans une bergerie. Je tergiverse quelque peu, mis sous pression par la nuit tombante. Disposant d’un toit en très bon état, la bergerie serait un lieu de bivouac adéquat. Ceci dit, je n’aime pas l’idée de m’arrêter avant d’avoir retrouvé mon chemin. Je tente vainement de repartir hors sentier dans les hauteurs ; un test épuisant m’en dissuade. Il me reste à plonger plus avant dans le vallon où je me suis enfoncé contre mon gré, vers le village côtier de Benijo, étape entre Almaciga et El Draguillo que j’étais censé éviter.
Après quelques recherches, je trouve un chemin en contrebas de la bergerie ; il m’amène dans une des fermettes d’altitude formant le hameau de Choza los Reyes. Quelque peu déboussolé par le stress et l’effort, je ne parviens pas à trouver le chemin qui doit logiquement la relier à Benijo, et m’élance hors-sentier vers le village qu’éclairent déjà quelques lampadaires.
Cette descente est une des plus désagréables de ma vie. Dans plusieurs passages abrupts, je dois revenir sur mes pas ou prendre des risques inconsidérés. J’avance très lentement et il fait nuit quand j’arrive, tant bien que mal, en surplomb d’une pente très inclinée et couverte de buissons qui s’achève sur la route carrossable menant à Benijo. Impatient d’en finir, je file tout droit dans la pente. La fatigue, l’obscurité et le sol boueux transforment cet effort final en supplice. Je glisse en permanence, chute trois fois dont une lourdement, voient mes bras et jambes lacérés par les épineux. C’est dans un piteux état que j’échoue sur la piste terreuse et me traîne jusqu’au bourg.
Il fait nuit noire quand je pénètre, hirsute, dans la petite taverne de Benijo, où la providence, incarnée dans une tenancière, va compenser le calvaire qu’elle m’a fait subir. Voyant le sang couler de mes bras, la gérante me prend en effet en pitié, m’offre des pansements, me sert un repas tout à fait correct et me propose de planter ma tente dans son champ, situé entre le village et l’océan.
Ma vaine lutte dans les hauteurs de Benijo
La crête que j’ai grimpé depuis Benijo
Vue sur la côte ; tout au fond, plein centre, le Roque de Taborno, dont je faisais le tour la veille
Le virage de la crête, après lequel disparaît le chemin ; en arrière-plan, la crête principale, que je n’atteindrai jamais
Le vallon où je m’enfonce contre mon gré ; au centre, la bergerie où j’ai failli bivouaquer
Photo matinale de mon bivouac effectif, dans le champ de la restauratrice
Je m’endors le sourire aux lèvres en digérant un bon plat mijoté, une situation difficilement imaginable trois heures auparavant.