Profitant d’une ligne aérienne low-cost établie entre Rennes et Marseille, j’intercale, entre deux sessions de travail, un voyage provençal de quatre journées. Après quelques hésitations, je destine les deux dernières à l’exploration du massif du Garlaban. Les deux premières, quant à elles, sont consacrées à un projet que j’ai depuis longtemps en tête : la traversée des Calanques de Marseille.
Modeste sur le papier, ce trek s’avérera bien plus ardu dans les faits, la faute à de multiples contrariétés: un climat plus humide que prévu, et surtout plus froid, ce qui rendit inadéquat le système de couchage emporté, ne comportant ni tente, ni duvet chaud ; une interdiction de bivouaquer que je braverai non sans quelques sueurs froides ; quelques passages acrobatiques que je ne pensais pas si vertigineux.
J’évoquerai plus loin la façon dont ces obstacles divers ont gêné ma progression. Il me faut d’abord relater celui qui se présente à moi dès mon arrivée à Marseille, à savoir le fait qu’aucun bus ne circule en ville de la journée. En ce jour de fête du travail, j’aurais du m’y attendre ! Mon imprévision me contraint à rallier à pied les Calanques depuis le centre-ville, que j’avais prévu de visiter au préalable. Un supplément de dix kilomètres d’autant plus malvenu que je sors d’une nuit blanche de travail.
Le parcours réalisé en deux jours, incluant la marche additionnelle dans Marseille (lien openrunner)
Une deuxième surprise m’attend à la sortie de la gare Saint-Charles. Je tombe nez à nez avec une affiche électorale de plusieurs mètres de hauteur, intégralement rédigée en arabe et faisant la propagande d’un candidat à la mairie ou la députation d’Alger. Témoignage explicite de la présence massive de double-nationaux franco-algériens à Marseille, ce que confirmera ma traversée de la ville.
Le fait de devoir rejoindre à la marche le massif des Calanques m’oblige à presser le pas. Je traverse à la hâte le vieux quartier du Panier, qui me marque moins par ses ruelles pittoresques que par le prix exorbitant du moindre sandwich. Au détour d’une rue surgit la cathédrale Sainte-Marie-Majeure, dont le style byzantin et les façades alternant en bande le calcaire et le marbre vert me déroutent agréablement.
Après avoir admiré l’édifice, je bifurque vers le Vieux Port, sur un parcours jalonné de monuments. La fière allure des plus anciens est à peine ternie par la laideur des plus modernes. Ma préférence va aux diverses fortifications gardant l’entrée du port ; elles portent la marque du Grand Siècle. Au-delà du fort Saint-Jean, je pénètre dans le Vieux-Port proprement dit. Un flot de touristes se presse sur des quais ceinturés de grandes bâtisses que domine la lointaine basilique Notre-Dame-de-la-Garde, constamment visible depuis le piton calcaire où elle a été édifiée.
Je flâne quelques minutes pour profiter de l’ensemble. Ce n’est qu’après avoir croisé la Canebière que je repars à vive allure, direction plein sud. Il n’y aura plus pour égayer ma route que quelques sites notables : la fontaine Jules Cantini de la place Castellane, le stade Vélodrome de l’Olympique de Marseille, tout récemment rénové, le parc Borély avec sa bastide du XVIIIème siècle, le littoral enfin, noir de monde.
Quelques photos du centre-ville de Marseille
Une rue du vieux quartier du Panier
La Vieille Charité, dans le quartier du Panier
La façade de la cathédrale Sainte-Marie-Majeure
Les sanctuaires de la cathédrale, surmontés d’imposantes coupoles
L’entrée du Vieux-Port ; à gauche, le fort Saint-Jean ; au fond, le fort Saint-Nicolas
Le quai sud du Vieux-Port, dominé par le fort Saint-Nicolas
Les quais est et nord du Vieux-Port ; au loin, la basilique Notre-Dame-de-la-Garde
Sur les quais du Vieux-Port : la mairie de Marseille…
…et l’église de Saint-Férréol les Augustins
La fontaine Jules Cantini
J’ai quinze bornes dans les pattes et un gros déficit de sommeil quand j’aborde enfin les premières pentes du massif de Marseilleveyre, porte d’entrée des Calanques. L’introduction est copieuse, avec une grimpe raide de 300 mètres à destination du sommet de Béouveyre. En quelques minutes, je comprends à quoi j’aurai affaire pendant deux jours : un massif déchiré de roches calcaires à la blancheur aveuglante, parsemé de conifères, d’arbustes et d’épineux, où s’infiltre un labyrinthe de sentiers rocailleux aux trajectoires improbables qui m’obligent parfois à jouer des mains. Je m’enfonce dans ce dédale le sourire aux lèvres, trop heureux de fuir la jungle bétonnée des quartiers marseillais, qui s’étale à perte de vue à ma gauche ; j’ai hâte de franchir le col pour en purger mon champ de vision.
L’ascension du massif de Marseilleveyre
Au pied du massif de Marseilleveyre
Les agréables premiers arpents du sentier
Les pentes touffues et escarpées du massif
La banlieue marseillaise saccage mes perspectives sur le massif du Garlaban
La première rampe d’escalade d’une longue série
A l’approche du sommet de Béouveyre
Un passage en bord de falaise
Du sommet aplati de Béouveyre, on jouit d’un panorama complet sur le massif de Marseilleveyre. Un replat conduit un peu plus loin au col des Chèvres, carrefour dont partent tant de sentiers que je choisis le mauvais et perd une demi-heure à tourner en rond.
Quelques vues du sommet de Béouveyre
Vue sud ouest, vers l’île Maire et et le village des Goudes
Vue nord, vers Marseille ; au centre, les plages du Prado ; à droite, on distingue le stade Vélodrome rénové
Vue est, vers le sommet de Marseilleveyre
Vue sud, vers le rocher Saint-Michel d’Eau Douce et l’île Riou
De retour au col des Chèvres, j’analyse plus sérieusement mes cartes, identifie le rocher des Goudes, mon prochain objectif, et repère le sentier s’y dirigeant ; il passe en contrebas de la grotte du rocher Saint-Michel d’Eau Douce. Au fil du chemin m’attendent deux passages délicats que les cartes ne laissaient pas deviner. Si premier, le pas de Lapin, n’est qu’une petite désescalade, le second est autrement plus impressionnants : il s’agit, après avoir contourné le rocher Saint-Michel d’Eau Douce par sa droite, de franchir le rocher des Goudes, sorte d’arête rocheuse de cent mètres de hauteur, par une entaille profonde que la nature y a creusé, le pas de la Demi-Lune. En soi intimidant, le passage l’est d’autant plus que les bourrasques de vent qui s’y engouffrent rendent très aléatoire la prise d’appui. C’est presque accroupi que j’avale les derniers mètres me séparant du passage, et avec d’autant plus d’appréhension que je crains un tracé plus improbable encore de l’autre côté de la crête. Il n’en est rien : dès après le franchissement du pas de la Demi-Lune, le chemin est tranquille, ce qui me permet de recouvrer mes esprits en profitant des vues exceptionnelles sur la côte jusqu’au-delà des Calanques.
Le franchissement vertigineux du rocher des Goudes
Au centre de la photo, le rocher des Goudes
Le pas de Lapin, vu d’en haut…
…et d’en bas
Le rocher Saint-Michel d’Eau Douce avec sa grotte
Le chemin menant au pas de la Demi-Lune, à droite, que trois trailers sont en train de franchir
Les vertigineux derniers mètres menant au pas de la Demi-Lune
La crête des Goudes vue depuis le pas
Vue rétrospective sur le tracé emprunté jusqu’au pas
La côte que je vais longer par la suite vue depuis le pas
Le manque de sommeil, le petit rythme de marche en découlant, l’effort supplémentaire pour traverser Marseille, l’erreur d’orientation au col des Chèvres, le franchissement au ralenti du pas de Lapin et de celui de la Demi-Lune : diverses causes qui produisent le même effet, me mettre en retard. Si je veux trouver avant la nuit l’une des grottes où j’ai prévu de bivouaquer, aux abords du col de Cortiou, il me faut accélérer l’allure. Je dévale le sentier en direction de l’ancien sémaphore, rejoint le GR et l’emprunte vers l’ouest pendant quelques kilomètres.
Au-delà de la calanque de Podestat, j’avais prévu de rejoindre le col de Cortiou par un sentier alternatif transitant par la corniche du Pêcheur, avec des passages en vire horizontale équipés de câbles. Seul, rompu de fatigue et dans l’empressement, je préfère ne pas me mettre dans le pétrin et, après m’être quelque peu avancé vers la calanque de l’Escu, revient en arrière jusqu’au GR et ne le quitte plus jusqu’au col de Cortiou.
Vers le col de Cortiou
La descente vers l’ancien sémaphore
Vue vers le large ; à droite, l’île Jarre ; au centre, l’île Riou ; à gauche, l’île Plane
Vue rétrospective sur le sentier côtier
Les îles Riou et Plane vues depuis le cirque des Walkyries
Du col de Cortiou, vue sur le mont Puget, sommet des Calanques
Si l’on en croit les cartes IGN, on est censé dépasser deux grottes avant même d’atteindre le col de Cortiou. Je n’en détecte aucune ; par défaut, j’en vise une troisième, indiquée quelques centaines de mètres plus loin, sur le bas-côté de la route franchissant le col de Sormiou. Contrairement aux deux autres, son emplacement est évident, mais elle n’est pas adaptée au bivouac. N’ayant pas de tente, donc pas d’alternative, je retourne dans la zone des deux cavités que je visais préalablement et fouille en vain les alentours du sentier, ne récoltant que quelques écorchures.
Bientôt le soleil se couche ; me voilà plongé dans une semi-obscurité. Je retourne au col de Sormiou, parvient à capter vaguement internet, tombe au hasard sur un site décrivant la façon de trouver l’une des deux grottes depuis le col, suit strictement ses directives à la lueur de ma lampe frontale et, insistant plus avant dans un passage hors-sentier où j’avais auparavant rebroussé chemin, atteint enfin l’entrée d’une petite grotte, au moment même où la nuit devient complète. L’endroit est parfaitement plat et protégé des vents; il y a même un tapis posé au sol. Après une brève jubilation de circonstance, j’y installe mon bivouac.
Un bivouac mérité
L’instant où je découvre la grotte
Couchage opérationnel !
Mon bivouac photographié au petit matin
Je m’imagine déjà profiter d’une nuit régénératrice. Elle ne le sera pas vraiment, la faute à une literie défaillante. Supposant le climat méditerranéen de mai favorable, ce que les prévisions météorologiques confirmaient, je n’ai emporté que mon sac de couchage D4 synthétique, à éventuellement combiner avec ma doudoune Cumulus. Au final, les températures se révèlent bien plus fraîches que je l’avais anticipé. Au cœur de la nuit, elles descendent probablement sous les 5 degrés. La doudoune suffit à me chauffer le buste, pas le bas du corps, qui subit le froid au point de perturber substantiellement mon sommeil. Pas top au vu de la grosse journée de marche qui m’attend !