Réveillé à la limite occidentale du Dartmoor, refroidi par mes errements de la matinée précédente et par la perte de ma boussole, j’envisage de remonter vers les tors du nord par la lisière du parc, au fil d’un sentier balisé offrant de belles vues sur ses premières sommets. Le temps correct et la beauté sauvage des premières collines que je longe titillent cependant ma curiosité ; très vite je cède et part à l’assaut de la lande vallonnée. Une faiblesse que je ne regretterai pas : même si mes craintes au sujet de l’orientation se vérifieront, je vivrai une journée de marche épique.
En rouge, la troisième journée de marche
Tout commence pourtant assez mal ; après m’être infiltré par un col entre les chaos granitiques de Links Tor et d’Arms Tor, je m’égare immédiatement dans la tourbe et ne retrouve ma trace qu’au niveau des ruines de Boiler House, premier des objectifs que je m’étais fixé au petit matin.
Divagations autour de Boiler House
Le sentier que je suis initialement mène à la bosse de Great Nodden, visible au fond
En contrebas, la rivière Lyd…
…et à ma droite, l’affleurement rocheux d’Arms Tor…
…vers lequel je finis par obliquer…
…et au-delà duquel je trace ma route dans une lande désolée
Bientôt je divague, peinant à deviner que le tor me faisant face est Dunna Goat Tors…
…et que celui dominant la contrée est Great Links Tor
En plein doute, je débouche dans une vallée profonde…
…que je remonte jusqu’à Boiler House
Je suis censé continuer plein est, mais la lande qui s’étend dans cette direction est un vrai marécage, alors qu’un chemin assez net part de la ruine vers le nord-ouest et la lisière du Dartmoor. La voie de la raison m’incite d’autant plus à l’emprunter qu’un brouillard soudain recouvre la vallée. J’aurais cédé à ses suggestions si je n’avais pas découvert, lors d’une brève inspection à l’est des ruines, des blocs de pierre et des planches permettant de traverser les plus grosses flaques de la tourbière. J’y avance quelque peu et découvre cent mètres plus loin une suite de poteaux indicateurs, les seuls que j’ai pu voir dans tout le Dartmoor. Enfin un semblant de balisage ! Il me suffit de le suivre pour atteindre Kitty Tor, puis la vallée majestueuse où coule la rivière de West Okement, second objectif du jour. Ce site exceptionnellement préservé mérite qu’on s’y attarde ; j’y prends un bain salvateur.
Vers la vallée de West Okement
Le vague sentier aménagé par lequel je quitte Boiler House
Des poteaux me permettent de progresser dans un brouillard…
…qui a complètement recouvert la vallée dont je m’extirpe
Au sommet de Kitty Tor, une cabane militaire rustique
D’autres équipements militaires vus durant le séjour : des poteaux signalant les limites de la zone d’entraînement militaire…
…et des signaux lumineux placés sur les sommets bordant ladite zone ; ils fonctionnent durant les entraînements
L’arrivée dans la vallée de West Okement
…la même vallée vu de l’autre côté
Mon troisième objectif, Yes Tor, n’est autre que le sommet du Dartmoor, mais aussi sa colline la plus septentrionale. Pour une fois, j’y accède sans accroc.
Yes Tor
L’arrivée sur la crête de Yes Tor
Le sommet intermédiaire de High Willhays
La crête continue jusqu’à Yes Tor, qu’on aperçoit au fond
A l’est, les tors où je repiquerai plus tard, dominée par celui de Higher Tor
Yes Tor
Du sommet, vue nord-ouest sur les plaines marquant la fin du Dartmoor
…vue est vers d’autres tors…
…et vue sud sur la crête que je viens d’arpenter ; au fond, High Willhays
Avant de repiquer vers le sud, j’avais prévu de descendre au village d’Okehampton pour recharger ma besace ; un détour qui me semble finalement superflu. Si je me limite, j’aurai assez de nourriture pour tenir les deux jours suivants, et le temps gagné devrait me permettre d’atteindre avant la nuit le principal objectif du trek, le mythique chaos rocheux de Fur Tor, situé en plein milieu du Dartmoor, dans un secteur si isolé que même opencyclemap n’y indique pas le moindre sentier a cinq kilomètres à la ronde. Quel rêve ce serait d’y passer la nuit !
Dans l’immédiat, je dois transiter vers l’est et la crête de Higher Tor., par un tracé agrémenté de quelques tors secondaires.
De tor en tor
West Mill Tor vu de Yes Tor…
…et de plus près
Scarey Tor vu de West Mill Tor
Row Tor vu de ses pentes…
…et de son sommet
West Mill Tor vu de Row Tor
La transition s’achève par l’ascension d’une arête que je vais ensuite longer vers le sud. Elle compte de nombreux affleurements granitiques, dont le plus saillant est Higher Tor.
Sur la crête de Higher Tor
La crête vue du vallon de Cullever Steps
J’accède au chaos intermédiaire de Tors End Tor…
…par un hors-sentier dans les ajoncs
La crête se poursuit jusqu’à Bellstone Tor et, visible au fond, le sommet peu prononcé de Higher Tor
Bellstone et Higher Tors vu de Tors End Tor
Higher Tor
La crête se poursuit jusqu’à Oke Tor, qu’on distingue à l’arrière-plan
Des chevaux paissent en liberté sur l’arête
Je poursuis ma route sans difficulté jusqu’à la colline tourbeuse d’Hanginstone.
Les hauteurs d’Hanginstone
C’est ici qu’il me faut quitter les sentes dont je ne me suis plus écarté depuis des heures, pour filer hors-sentier vers le sud-ouest et Fur Tor, situé à 5 kilomètres à vol d’oiseau. J’aurais pu y parvenir si je n’avais pas été stoppé par des tourbières dont le franchissement me paraît trop dangereux.
Les tourbières en question
Contraint de rebrousser chemin, je retourne à la cabane d’Hanginstone Hill et tente une opération de contournement qui me sera fatale. J’enchaîne les erreurs et crapahute au hasard de colline en colline, entre des tourbières douteuses et sous une pluie continue ; une lutte qui s’étalera sur deux heures interminables.
Au milieu de nulle part
Je ne dois mon salut qu’à une famille de randonneurs croisée près du passage marécageux de Sandy Hole. Ils s’orientent sans problème grâce à leur GPS et sont passés par Fur Tor, dont ils m’indiquent la direction. Il est trop tard pour m’y rendre, d’autant plus que j’ai dans les jambes 1000 mètres de dénivelé et 30 bons kilomètres dont la majorité hors-sentier ; je préfère les accompagner vers Postbridge, village d’arrivée de leur trek de trois jours, où m’attend selon eux une prometteuse taverne qui s’avérera finalement fermée.
Un final en bonne compagnie
Je joins les randonneurs près de la rivière d’East Dart…
…dans laquelle pourrit le cadavre d’un cheval sauvage
Un trio adorable
Le fils cadet est épuisé ; je lui passe un de mes bâtons
Nous suivons la rive d’East Dart…
…en louvoyant entre les ajoncs…
…jusqu’à Postbridge, où subsiste un vieux pont en pierre
Je m’installe sur une pelouse proche
Malgré les tableaux magnifiques qui ont stimulé mon imagination toute la journée, je me couche frustré par ma panse presque vide, et plus encore par l’échec de ma quête de la colline mythique de Fur Tor. Maudites cartes ! Il est temps de changer mes habitudes et de les délaisser au profit d’un GPS plus fiable.