N’ayant pas pris la peine de nous renseigner sur la météo, nous abordons le second massif du voyage, celui de Snowdonia, sans avoir conscience qu’il va subir pendant deux jours les retombées de la tempête Hannah, qui frappe déjà durement l’Irlande.
Pour l’heure, les conditions semblent correctes et nous permettent d’apprécier le charme sans égal de la campagne galloise, que nous sillonnons par des routes étroites cernées de murets.
Tableaux typiques du Pays de Galles
Une route de campagne
Les premières collines de Snowdonia
Un des nombreux ponts en pierre traversés
Près de Capel Curig, l’auberge « The Ugly House », qui porte mal son nom
En début de soirée, nous nous garons à Capel Curig, d’où un trek de quatre petites journées doit nous permettre de faire le tour des principales montagnes de Snowdonia. Dans l’immédiat, nous entendons bivouaquer dans le replat situé au-delà d’un premier sommet, le Gallt yr Ogof, dont il nous faut au préalable gravir les 600 mètres.
Dès le franchissement de la colline de Cefn y Capel, nous sommes frappés de face par de violentes rafales venues d’Irlande, qui auraient dû nous mettre la puce à l’oreille. Nous hésitons certes mais poursuivons l’ascension, ballottés par les bourrasques, et nous engageons dans la plus éprouvante marche de notre vie.
En route vers l’enfer
Le village de Capel Curig
La colline voisine de Craig Wen
Du promontoire intermédiaire de Cefn y Capel…
…vue nord vers le Pen Llithrig-y-Wràch…
…et vue ouest vers notre objectif, le Gallt yr Ogof
La dernière photo prise avant que la tempête s’abatte
L’étendue qui suit le sommet tourmenté du Gallt yr Ogof n’est qu’une tourbière inondée et battue par les vents ; il est impossible d’y camper, et même de la traverser. Menacés par la nuit tombante et une pluie qui s’intensifie, nous basculons imprudemment dans la vallée septentrionale, qui nous semble protégée du vent, et dévalons hors sentier presque 200 mètres à la recherche d’un coin de bivouac : effort inutile, les rares espaces plats étant plus gorgés d’eau les uns que les autres.
Titubant dans une pénombre presque totale et sous une pluie devenue torrentielle, nous préférons rebrousser chemin et regagner la crête en visant un col situé entre les deux sommets qui suivent celui du Gallt yr Ogof : l’Y Foel Goch et le Glyder Fach. Nous espérons vaguement y dégoter un refuge naturel où attendre le lever du soleil. Nous ne savons pas, obscurité oblige, que la pente que nous attaquons n’est qu’un vaste chaos rocheux escarpé. Il faut en escalader un à un les rochers glissants, en évitant les chutes et en priant pour que le calvaire cesse au plus vite. Il durera en fait plus d’une heure, durant laquelle chaque mètre gagné sera une victoire. Au bout de l’effort, sur le point d’abandonner et de nous terrer dans une anfractuosité de la roche, nous croisons enfin le lit d’un ruisseau par lequel nous remontons aisément sur la crête.
Je ne sais pas ce que nous comptions y trouver, mais c’est le pire qui nous attend : la barre rocheuse avait au moins l’avantage de nous protéger partiellement d’une tempête qui redouble d’intensité quand nous atteignons le col. Jamais je n’ai affronté vent si violent, ni pluie si glaçante. De tous côtés s’étend une tourbe où nous nous enfonçons parfois jusqu’au mollet. Je cherche à nous diriger vers le sud-ouest et un sentier nous ramenant vers la route, qui serpente 3 kilomètres et 500 mètres plus bas selon mon GPS, mais sans consulter constamment ce dernier, il est impossible de s’orienter dans la nuit noire, et le consulter suppose de livrer le smartphone à des averses qui rendent son écran difficilement utilisable et risquent même de le détruire. Je ne me résous à le faire, en le couvrant tant bien que mal, que parce que mon frère désespère littéralement.
Le calvaire dure encore vingt longues minutes, au terme desquelles nous trouvons un supposé sentier, en fait le lit d’un autre ruisseau, que nous dévalons cahin-caha vers la route. Une demi-heure plus tard, nous distinguons au loin les phares d’une voiture. Bien qu’elle soit encore distante, nous vivons l’instant comme une libération. La tempête a beau se déchaîner de plus belle, nous retrouvons le moral, et après avoir rejoint la vallée et franchi un dernier marécage, nous gagnons l’asphalte rassurés.
La vallée où s’achève le périple, photographiée quelques heures plus tôt
Après ce que nous avons vécu, les six kilomètres goudronnés qui nous ramènent à Capel Curig sont presque plaisants. Arrivés au parking à 2h du matin, nous nous mettons au sec dans les sanitaires attenants et nous blottissons dans la voiture, pour une nuit réparatrice de presque 10 heures.
L’odyssée improbable accomplie cette nuit-là (lien openrunner)
Au réveil, le temps est toujours mauvais. Aussi avons-nous la bonne idée de gagner la côte, moins soumise aux pluies, et de visiter le joli port fortifié de Caernarfon, célèbre pour son imposant château et une enceinte urbaine intacte qui se dresse face à la mer.
Le château de Caernarfon
La partie est de l’enceinte
La principale porte, l’Exchequer Gate
Le donjon vu de l’intérieur de l’enceinte…
…de l’extérieur…
… et de la rive opposée de l’Afon Seiont
A sa droite, le port
A sa gauche, la muraille s’étend…
…sur plusieurs centaines de mètres
Une auberge y est joliment encastrée
En elle-même, la ville a également du cachet, et nous ne regrettons pas d’y avoir fait étape.
Rues et bâtiments de Caernarfon
Une autre place forte retiendra plus tard notre attention, celle de Conwy.
Quelques photos du château de Conwy
Nous brûlons cependant de retourner dans le massif de Snowdonia et, frustrés d’avoir dû abdiquer le trek planifié, décidons de passer la nuit dans le bothy de Dulyn, un refuge non gardé que nous aurions dû atteindre au soir du troisième jour de marche. Il est planqué dans une vallée reculée, à 5 kilomètres d’un parking où nous laissons notre voiture aux prises avec la tempête, avant de l’affronter nous-mêmes. La pluie ne nous épargne pas plus que la veille, mais nous pouvons cette fois nous réfugier au chaud au terme d’une grosse heure de marche.
Vers le bothy de Dulyn
La boucle effectuée (lien openrunner)
Les averses frappent une vallée…
…où nous nous engageons tout de même
Les vestiges d’un moulin
Au travers des brumes…
…nous distinguons le bothy
Un torrent nous en sépare…
…qui s’échappe du lac de Dulyn
Nous le franchissons tant bien que mal…
…et filons vers un bothy…
…où nous attend une couche confortable
A notre surprise, le bothy est déjà occupé par un jeune anglais qui s’y est cloîtré deux heures plus tôt.
Nous dînons en sa compagnie et nous apprêtons à sommeiller quand nous apercevons par la fenêtre la lueur lointaine de trois lampes frontales : un trio de retraités est en train de braver la tempête, dont le plus téméraire, l’excentrique John, a décidé de traverser directement la vallée inondée qui le sépare du bothy, alors que les deux autres en font le tour par le sentier conventionnel. Ils nous rejoignent un à un au coin du feu, et nous écoutons pendant deux heures les récits de leurs aventures dans les landes britanniques, qu’ils évoquent avec un fort accent, l’un mancunien, l’autre écossais.
Notre improbable assemblée ; à gauche, John et au centre, Colin
Au réveil, la tempête est toujours vive ; c’est emmitouflés dans un maximum de couches protectrices que nous retournons ensemble au parking.
Le groupe prêt à partir
John a devancé tout le monde et s’est élancé hors sentier dans la vallée, suivant à distance le ruisseau tumultueux du Dulyn. Nous le rattrapons et pataugeons à ses côtés en franchissant tant bien que mal plusieurs affluents.
L’improbable traversée de la vallée du Dulyn
Trois membres du groupe longent le ruisseau…
…pendant qu’Ivonig rattrape John, qui chantait à tue-tête sous la pluie
Le groupe réuni…
…longe un ruisseau…
…qui se jette au loin dans une petite retenue d’eau
Le franchissement du premier affluent est une réussite…
…pas celui du second, dans lequel Colin, 74 ans, va s’étaler de tout son long
Passée la retenue d’eau…
…nous retrouvons une piste
Dernier panorama sur la lande désolée
Le reste de la journée est moins épique. Il pleut intensément, même sur la côte, et toutes nos affaires sont trempées. Réfugiés dans un bistrot de Llandudno, nous ne perdons pas le moral, le temps étant appelé à s’améliorer dès le lendemain, et mettons à profit l’après-midi pour modifier les tracés de nos randonnées futures. Nous réduisons leur longueur et tentons de les faire transiter par un maximum de bothies, histoire de renouveler l’expérience fascinante de la nuit précédente et de n’utiliser la tente qu’en dernier recours. Les marches étant plus courtes, nous pouvons les multiplier, et ainsi explorer toutes les contrées qui nous avaient tapé dans l’œil avant le départ.
Le programme établi durant ces quelques heures sera assez fidèlement suivi par la suite ; avec bonheur, tant chacune de ses étapes apportera son lot de satisfaction.