Triptyque inachevé dans les Carpates roumaines (juin 2019) – 3/5 – une transition oppressante

Après la neige dans les monts Bucegi et les parois d’escalade dans le massif de Piatra Craiului, c’est à des difficultés moins techniques mais plus désagréables que j’aurais affaire dans les collines boisées qui mènent aux monts Făgăraș.

En rouge, la journée de transition entre Piatra Craiului et les monts Făgăraș.

Au préalable, je longe à distance la lisère d’une forêt dans laquelle je ne plongerai qu’au niveau d’une ligne de crête marquée filant droit vers le mont Tamasul Mare.

Au-dessus de la canopée

La crête boisée que je vise

A sa droite, une vallée menant à Zarnesti

A sa gauche, le massif isolé de Păpușa

Derrière lui, tout au fond, mon objectif : les premiers contreforts des monts Făgăraș

Avant de m’élancer, je m’infiltre entre la lisière de la forêt et les parois calcaires de Piatra Craiului…

Sur la route, un pierrier…

…des bois épars…

…et un névé casse-gueule

C’est parti pour 20 longs kilomètres en sous-bois qui, non contents d’être monotones, se sont révélés très oppressants. C’est d’abord la sylviculture intensive qui pourrit mon avancée, le balisage et même la sente que je suis censé suivre ayant été détruits par les bûcherons du coin, ou pire encore, obstrués par un labyrinthe de troncs morts qu’il faut enjamber à la chaîne. Je me perds deux ou trois fois, lutte alors dans des bois inextricables, et sans l’aide du GPS, aurai eu grand mal à retrouver le droit chemin.

Autre forme d’oppression, les mouches. Je suis habitué à en voir une demi-douzaine tourner autour de moi, surtout dans les régions méditerranéennes, mais les mouches roumaines sont autrement plus nombreuses et bruyantes. Je pense sans exagérer qu’au pic de la journée, je m’en coltinais une quarantaine ; pour preuve, la plupart des photos qui vont suivre ont été gâchées par une ou deux de leurs représentantes.

Mais le pire reste la menace des ours, très nombreux dans les parties forestières des Carpates roumaines. Ce ne sont pas vraiment des prédateurs ; on ne peut, de jour, les rencontrer que fortuitement, et si l’on reste calme, ils ne se montrent pas agressifs. Leur présence reste toutefois déstabilisante, et si je ne m’en soucie guère les premières heures, me contentant de siffler de temps en temps aux abords des sommets, la donne change à un moment où, égaré cinq cents mètres à droite d’un sentier introuvable et moins occupé à faire du bruit qu’à retrouver mon chemin, je tombe nez à nez avec deux d’entre eux qui, affairés à déterrer quelque chose, ne m’avaient pas senti venir.

Ils fuient sans demander leur reste ; moi de même, en sens opposé, accélérant l’allure au bénéfice d’une violente montée d’adrénaline. Un peu plus loin, alors que je lutte dans un bois de pins, j’entends des grognements dans les fourrés à ma gauche ; la pression monte d’un cran et ne descendra plus jusqu’au lendemain.

Une forêt oppressante

Les bois où je m’enfonce

Raretés du jour : une portion de crête dégagée…

…et un sentier nettement visible

Un des nombreux passages dans des entremêlements de troncs morts

La crête que je suis contourne à distance le sommet de Păpușa

Vue en arrière sur l’arête de Piatra Craiului, du nord au sud

Je suis bien content de pouvoir me réfugier, aux deux tiers du parcours, dans une bergerie en ruine indiquée dans le guide de Simon Dubuis. J’en scelle l’entrée avec des branches, extermine une trentaine de mouches et moucherons et m’endors difficilement à l’idée de devoir retourner à l’aventure le lendemain.

La bergerie où Simon Dubuis conseille de dormir

La reprise est difficile : après quelques kilomètres, suivant les indications de Simon, je quitte l’itinéraire noté sur mes cartes et m’égare complètement en bas d’une prairie où deux bergeries achèvent de se ruiner. Il m’en coûte une grosse heure de lutte entre des conifères resserrés. De retour sur le tracé de base, j’atteins péniblement le col de Curmatura Lerescului, d’où arrivent les randonneurs qui abordent les monts Făgăraș par la vallée. Au-delà, le sentier ne pose plus aucune difficulté et surgit, cinq kilomètres plus loin, d’une forêt que je quitte sans regret.

Lutte finale en sous-bois

Cet énorme excrément ,fraîchement expulsé sur le sentier, me semble être celui d’un ours

La bergerie passée laquelle je m’égare longuement

La crête dégagée des monts Făgăraș n’est plus qu’à quelques encâblures

Quelques arpents de plus…

…et je laisse derrière moi mouches, ours et troncs d’arbres !

L’immense forêt traversée vue des hauteurs

A peine sorti des bois, je reprends mon souffle près d’un abri en profitant un peu des paysages.

Le refuge Comisu, en demi-ballon de football, comme les deux précédents

Mes soucis ne s’arrêtent pas là ; ils changent plutôt de forme, puisque un épais brouillard couvre les cimes des monts Făgăraș.