Après quatre journée conformes à l’idée que je m’en faisais, la traversée des Alpes juliennes va complètement partir en vrille.
J’entendais suivre la ligne de crête de la chaîne de Tolmin jusqu’à ce qu’elle ne soit plus qu’une simple colline de campagne. Au premier village rencontré, je prévoyais de rallier en bus Ljubljana, la capitale toute proche, d’où des avions réservés de longue date devaient me déposer via l’Angleterre en Islande, et une grosse semaine plus tard, toujours via l’Angleterre, en Norvège, pays où mon frère était censé me rejoindre pour un road-trek de dix jours – transition tranquille de la section alpine du tour d’Europe à la section scandinave. Ma seule source de préoccupation : un éventuel contrôle au covid à l’arrivée en Islande, avec la quarantaine afférente qui aurait ruiné l’ensemble du plan.
C’est à cinq jours de l’envol risqué pour l’Islande que je déboule dans la cabane du mont Planje. Disposant d’internet, j’opère une vérification de routine des vols. Patatras ! Une semaine plus tôt, du fait de la crise sanitaire et de ses conséquences touristiques, ils ont presque tous été annulés, y compris ceux de mon frère ! Pire : depuis quelques jours, la Slovénie, comme tous les pays balkaniques, est placée sur la liste rouge des pays nordiques ; plus aucun vol ne relie ces deux parties de l’Europe !
La terrible nouvelle me plonge dans un abattement tel que je songe quelques instants à arrêter les frais et saborder le grand voyage, ou au moins sa partie scandinave, et à m’attaquer directement aux Balkans voisins. Il me faut deux heures d’analyses des alternatives et un appel au frérot pour reprendre espoir. Je lui trouve un autre aller-retour entre la France et la Norvège, sans me douter qu’il lui fera passer cette frontière in extremis, deux jours avant sa fermeture définitive, puis je m’occupe de mon cas.
De nouveau déterminé à passer par l’Islande, je constate qu”il me sera aisé d’en décoller vers la Norvège, certes pas par une combinaison de vols low-costs, tous annulés, mais par un vol direct sur une compagnie classique, dont les tarifs se sont effondrés. Pour entrer en Islande, c’est plus compliqué. Par chance, de toutes les réservations faites avant le départ, la seule maintenue est un Londres – Reykjavik ; je n’ai plus qu’à trouver un moyen de rallier la capitale anglaise. Des Balkans, ce n’est pas envisageable, quarantaine oblige, mais ça l’est depuis l’Italie voisine, et notamment de Venise, distante d’à peine 200 kilomètres à vol d’oiseau et connectée à Londres par des vols low-costs quotidiens.
J’en tire une conclusion évidente : il me faut bouleverser le final du trek slovène, abdiquer la visite de Ljubljana, repiquer vers la frontière italienne toute proche, la franchir discrètement par la montagne, crapahuter côté italien jusqu’à la plaine frioulane et la gare ferroviaire italienne la plus orientale d’Italie, celle de Cividale, et rejoindre Venise en train. Pour ce faire, j’ai quatre jours à disposition, un intervalle si confortable que j’aurai le temps de flâner une journée entière dans la Cité des Doges.
L’abri où s’est tenue la réunion de crise
Je n’ai plus qu’à élaborer à la va-vite un itinéraire que je respecterai globalement.
En rouge, le parcours de Slovénie en Italie
Première étape du plan alternatif : descendre dans la vallée de la Soča, limite méridionale du parc de Triglav et dernier encaissement avant la partie italienne des Alpes juliennes.
Vers la vallée de la Soča
Au pied de la crête du mont Tolmin..
…la vallée de la Soča
Un dernier sentier d’altitude…
…et je m’achemine de hameau en hameau…
…vers un fonds de vallée…
…où se cache la ville frontalière de Tolmin
Un ultime sentier forestier me dépose…
…au bord de la rivière du Tolmin, dont la beauté attire les curieux
Un sentier longe ses rives…
…en direction de la ville homonyme
La canicule sévit sur Tolmin. Privé de douche depuis près d’un mois, je savoure à sa juste mesure la baignade dans les eaux de la Soča.
Revigoré, je me hisse sur une crête herbeuse modeste qui délimite Italie et Slovénie
A la frontière italo-slovène
Une petite balade vespérale me conduit au bivacco Giuseppe Zanuso, aussi bien tenu que la douzaine de cabanes italiennes précédemment occupées.
La marche du lendemain,dans des montagnes couvertes de forêts, compte parmi les moins exaltantes en deux mois dans les Alpes ; seule source de réjouissances, les hameaux traversés, plus attachants que ceux de Slovénie ou d’Autriche.
Une transition sans saveur
L’anodine partie italienne des Alpes juliennes
Un chemin symbolisant la journée
Le hameau de Laze
Celui de Topolove…
…doté d’une petite église
Première nuit en tente après une semaine dans des abris
La plaine frioulane est toute proche de mon campement. Plutôt que d’y filer droit, je m’accorde un dernier plaisir matinal avec l’ascension du Matajur, point culminant de la frontière italo-sloèvne malgré son élévation quelconque.
Du haut du Matajur
Le sommet aplati du Matajur, vu de loin…
…et de près
Du haut de ses 1645 mètres, vue sur la Slovénie et des chaînons parallèles…
…qui se succèdent jusqu’aux hautes cimes du parc du Triglav…
…et se prolongent vers l’ouest…
…et le parc régional italien des Préalpes Juliennes
Au sud-ouest, le massif se fond dans la plaine frioulane…
…que j’atteins au niveau du village de San Pietro al Natisone
Aucun bus ne semble connecter San Pietro à la gare de Cividale, distante de 6 kilomètres. J’en avale la moitié à pied, le reste en auto-stop, et me retrouve, trois heures plus tard, dans la banlieue de Venise, pour une journée et demie de pause avant une parenthèse islandaise semée d’embûches.