[dix-septième trek de l’Europe en 25 treks]
Contrairement aux deux premiers treks balkaniques, au programme depuis des lustres, le troisième est l’amalgame imprévu de deux marches improvisées suite aux contraintes que m’imposent la politique sanitaire locale.
De retour à Sofia après deux semaines dans les montagnes bulgares, j’entendais, sur la route de la Macédoine, découvrir la Serbie via sa contrée la plus attirante, la région de Niš, troisième ville du pays. C’était sans compter sur la fermeture stricte de la frontière serbo-bulgare aux touristes.
Je pourrais filer directement en Macédoine, mais l’idée d’accomplir un tour des pays balkaniques sans fouler le sol serbe me frustre. Une option plus séduisante consiste à longer la partie la plus montagnarde (donc la plus discrète) de la frontière serbo-bulgare: le massif du mont Midžor, extrémité occidentale du Grand Balkan et sommet de la Serbie depuis la partition du Kosovo. Selon opencyclemap, un sentier permet d’arpenter sa crête principale sur des dizaines de kilomètres. Je m’y fie à raison et trace un parcours démarrant et finissant dans deux villages bulgares, avec une transition de vingt kilomètres côté serbe.
L’itinéraire finalement suivi, assez fidèles au plan initial (lien openrunner)
Pour une fois, le principal défi n’aura pas résidé dans la randonnée elle-même, mais dans le transfert vers son village de départ, Gorni Lom. Il se situe tout au nord-ouest de la Bulgarie, dans un no man’s land jouxtant Serbie et Roumanie. Depuis Sofia, les transport en commun ne vont pas au-delà de Montana, qui correspond en tout point à l’idée que je me faisais d’une ville de province soviétique.
Dans le centre-ville de Montana, l’un de bâtiments les plus laids que j’ai jamais vu
Les 70 derniers kilomètres, je n’ai d’autres choix que de faire du stop, sur une départementale empruntée presque exclusivement par des routiers qui foncent bien au-delà de la limite autorisée, sur une voie étroite, dangereuse et où il est bien difficile de s’arrêter. J’aurai besoin de 4 heures et 3 séances de stop pour avancer de 45 kilomètres et échouer dans la dernière station-service bulgare, qu’on dirait sortie d’une série post-apocalyptique.
Je bifurque sur une route de campagne plus plaisante.
Deux séances de stop finales et j’arrive enfin à Gorni Lom. Il m’en aura coûté presque une journée de voyage, alors que le village n’est distant de Sofia que d’une centaine de kilomètres à vol d’oiseau! Y règne une ambiance de fin du monde: maisons dépeuplées, toits effondrés, vitres brisées, petites usines désaffectées, fossés remplis de déchets, chiens errants. Des bâtisses en ruines parsèment la route, puis la piste que je remonte vers les contreforts du mont Midžor. Le refuge que je visais est abandonné depuis des lustres; la nature y a repris ses droits. Un peu plus haut, seule et improbable trace d’activité humaine: une aire de pique-nique presque neuve, financée par l’Union européenne. Je m’y installe, dans une solitude plus oppressante qu’à l’habitude.
A l’aube, je m’attaque incognito à la chaîne du mont Midžor, qui marque la frontière de la Serbie, en même temps que son point culminant.
Au sommet de la Serbie
Surgissant de la forêt, je fais face à une paroi…
…se dressant vers le mont Midžor
Je rejoins la ligne de crête…
…puis un sommet…
…au poteau géodésique rudoyé par mes prédécesseurs
Du haut de ses 2169 mètres, je contemple une énième fois la Bulgarie…
…et pour la première fois le territoire serbe
Les sentiers mentionnés sur opencyclemap, censés filer en balcon sur le flanc serbe de l’arête, existent bel et bien, et sont même vaguement balisés. Bonne surprise! Me voilà parti pour 20 kilomètres sur une ligne de crête dégagée et sans grande difficulté.
Vues en arrière sur le mont Midžor durant ma progression
Après dix kilomètres doux et herbeux, la crête gagne en âpreté ; ses sentes se font plus rocailleuses, ses parois plus verticales, ses cimes plus tranchées.
De sommet en sommet
Les pentes cramées du mont Vraža Glava
Après un replat temporaire…
…j’aborde le mont Deanica, vu de l’ouest…
…et de l’est
…puis les Tri Čuke…
…leurs aiguilles déstructurées
…et leurs puissants contreforts
Vue d’ensemble du mont Deanica et des Tri Čuke…
…avec le mont Vraža Glava en arrière-plan
Une famille serbe récoltant des baies dans les Tri Čuke rompt ma solitude et me conseille, malgré la disparition de la trace, d’insister hors-sentier sur une crête qui s’affaisse un temps avant de tendre vers le mont Kopren.
A l’approche du mont Kopren
Vues sur le mont Kopren
De son sommet, perspective sur la crête parcourue…
…sa paroi nord…
…la Bulgarie…
…et la suite de la crête; à l’horizon, le mont Kom, point de départ du sentier Kom-Emine, dont j’arpentais la partie centrale deux semaines plus tôt
J’aurais pu continuer pendant des dizaines de kilomètres sur une crête bien plus praticable que ce que j’imaginais, et m’approcher naturellement de la banlieue de Sofia. N’ayant pas prévu une si longue marche, je n’ai pas suffisamment de provisions et préfère m’en tenir au plan de base: descendre côté bulgare, bivouaquer n’importe où, joindre au réveil le village de Kopilovtsi et m’en retourner à Montana via une séance de stop qui se révélera bien moins poussive qu’à l’aller.