[dix-neuvième trek de l’Europe en 25 treks]
A cheval entre l’Albanie, le Monténégro et le Kosovo, les Monts maudits forment la chaîne de montagne la plus élevée des Alpes dinariques. Depuis une décennie, de nombreux randonneurs parcourent leur pics calcaires au fil du plus fameux trek balkanique, les Peaks of the Balkans, un circuit transfrontalier de 200 kilomètres.
Une bonne moitié de cet itinéraire me laisse sceptique. De toute façon, je n’entends pas effectuer une boucle, mais traverser le massif, et chemin faisant, franchir à pied la frontière entre l’Albanie et le Monténégro, fermée depuis le début de la crise sanitaire. J’élabore donc, comme souvent, un parcours personnel, en partant d’une zone méconnue, la partie méridionale des Monts maudits, pour rejoindre le tracé des Peaks of the Balkans à Theth, m’en écarter après Vusanje, le retrouver brièvement sur la bordure du Kosovo, repiquer vers Plav, ville édifiée à la limite sepentrionale des Monts maudits. Un parcours de 5 jours et 120 kilomètres que j’ai prolongé, entre deux orages, dans les montagnes plus modestes du nord de Plav, le long du segment le plus oriental d’un autre trek balkanique renommé, la Via Dinarica.
Ma semaine dans les Monts maudits (lien openrunner)
A cette randonnée enchanteresse, dont je recommande notamment les deux premiers jours, dans les très reculées Alpes albanaises, et le cinquième, à la frontière du Kosovo, il n’aura manqué qu’un élément. En effet, menacé par la dégradation imminente de la météo, j’ai préféré écourter le tracé, quitte à zapper une journée de marche aller-retour vers l’une des hautes cimes du massif, qui aurait pu être le Maja e Jezercës, sommet des Alpes dinariques, ou le plus accessible Maja e Roshit. J’aurais ainsi pu pénétrer dans le coeur minéral des Monts maudits, plutôt qu’en faire le tour. A posteriori, j’approuve ce renoncement, étant arrivé à Plav une heure avant l’explosion d’un orage continu de deux jours. Je regrette simplement de n’avoir pas entamé le trek un jour plus tôt, ce qui aurait été possible si j’avais filé à Tirana dès la fin du précédent, plutôt que de me reposer un après-midi à Pogradec.
Presque autant que la marche, c’est son préambule qui vaut le détour. Car c’est de la plus épique des manières que j’ai accédé à Lekbibaj, village de départ du trek. Sans téléphone depuis la sortie de la Bulgarie, j’ai pu, grâce à un aubergiste de Tirana, contacter un transporteur qui restait actif malgré l’absence de touristes. Il m’a donné rendez-vous dans la banlieue de la capitale albanaise, à 5 heures du matin, pour m’embarquer, en compagnie de quelques locaux, vers le village perdu de Koman, au nord du pays.
L’autobus en partance pour Koman
Le village est placé en contrebas d’un barrage contenant le lac artificiel de Koman, qui emplit un canyon impressionnant d’étroitesse et long de 30 kilomètres. Par un tunnel incliné, l’autobus accède à une plate-forme calée entre la paroi et le lac, en amont du barrage.
L’endroit est bondé de monde, même si je suis le seul étranger.
Un ferry réservé aux automobilistes joint sans escale l’autre extrémité du canyon et le village de Fierzë, d’où une route part vers la ville de Bajram Curri.
Ceux qui, comme moi, visent une destination intermédiaire, sont assignés à une embarcation plus modeste.
Elle s’arrêtera à chaque fois que des passagers désireront être embarqués ou débarqués. L’une après l’autre, les familles de bergers qui m’accompagnent se verront ainsi déposées sur des berges aménagées dans le canyon, d’où ils devront remonter la paroi, chargés comme des mules, via des sentes invisibles à l’œil nu.
La plus escarpée des escales
Pour ma part, je vise le ponton de Lekbibaj, l’un des derniers avant Fierzë. L’occasion d’apprécier dans sa quasi-intégralité la remontée des gorges de Koman, dans un remake balkanique de la traversée du Nærøyfjord, un mois plus tôt.
Panoramas sur les gorges de Koman
Le sud du canyon
Le hameau d’Iballë
Dans la foulée…
…un premier rétrécissement de la gorge
Le ferry nous rattrape…
…et nous double…
…au moment où la gorge devient la plus étroite: à peine 50 mètres entre des parois hautes de presque 1000 mètres!
Une partie moins inclinée du canyon , vue du ponton de Lekbibaj
Gros plan sur les parois du canyon
Dix après mon lever, non sans avoir aidé des locaux à remonter leur matériel, je peux enfin m’attaquer aux Alpes albanaises!