Au XVIIIe et XIXe siècles, les Austro-hongrois disposèrent une série de forteresses sur la côte monténégrine, qui formait alors la limite méridionale de leur Empire et la frontière avec celui des ottomans. Ces places fortes étaient reliées, sur des dizaines de kilomètres, par une voie montagnarde pavée si bien conçue qu’elle a résisté à cent cinquante ans d’abandon. Grand admirateur de ce genre d’ouvrage depuis mes premières randonnées grecques, j’ai apprécié à sa juste mesure ce chef-d’œuvre architectural méconnu.
En rouge, mes trente bornes sur la haute voie austro-hongroise
La mémorable séquence démarre dans une cuvette d’où l’on devine le golfe de Kotor.
Au loin, le saillant mont Goli, dont je vais longuement faire le tour.
Une première portion de voie pavée me mène en surplomb du golfe de Kotor.
Premiers kilomètres sur le pavage impérial
La séquence s’achève au pied des ruines du fort Saint-André.
Par la suite, la voie pavée est moins préservée, les paysans locaux en ayant asphaltée une bonne partie.
Quelques segments encore intacts
Passé un col routier, le parcours repique plein ouest et attaque un terrain plus escarpé, aux sommets marqués et nombreux.
C’est ici que les austro-hongrois ont accompli des prouesses: leur voie pavée, renforcée par des murs de soutènement parfois hauts de plusieurs mètres, fait fi des dénivelés et louvoie presque à plat entre pics, gouffres et ravins. Elle a admirablement résisté aux sévices de la nature et n’est effondrée qu’en de rares endroits.
Clichés de la plus belle section du chef d’œuvre impérial
Cette voie royale permet de plonger au cœur d’une région calcaire si impropre à toute forme d’exploitation qu’on n’y repère aucune autre trace d’activité humaine.
Perspectives sur un désert karstique qu’une seule route traverse par sa vallée la moins minérale
Du passage à Kotor à l’arrivée du trek, on ne croise aucune source d’eau. Les seuls points de ravitaillement sont des citernes ancestrales que répertorie consciencieusement le guide évoqué plus haut. Bien qu’elles existent, je les juge trop insalubres et ne m’en suis jamais servi. Ma solution? Emporter 5 litres d’eau et compter sur ma bonne étoile, ici une rare ferme occupée, là deux locaux qui retapent une chapelle perdue, plus loin un 4X4 de sylviculteurs qui s’arrête à mon signal et accepte de remplir ma gourde. Je croise ces derniers durantl l’ultime matinée de marche, alors que je gravis une section de la voie austro-hongroise transformée en piste carrossable.
A ma droite, le mont Orjen, plus élevé de tous les massifs calcaire de la côte adriatique, culmine à presque 2000 mètres, au sommet du Zubački kabao.
La barre rocheuse s’élevant vers le Zubački kabao
L’itinéraire de la Transversale comprend un aller-retour au Zubački kabao puis un crochet par le prometteur cirque de Subra. Malheureusement, après deux jours de soleil, l’orage pointe le bout de son nez. Les nuages s’accumulent déjà au sommet du Zubački kabao, ce qui me dissuade de le gravir et compromet l’ascension à venir du mont Subra.
Je me serais tout de même cantonné à la voie officielle si je n’avais pas découvert qu’un itinéraire plus court, mentionné sur mes cartes et permettant d’atteindre Herceg Novi le soir même, avant l’orage, est bel et bien balisé. Je m’y engage, tirant un trait sur le cirque de Subra. Un choix que je regrette a posteriori: après un kilomètre agréable, il me faut progresser hors-sentier, au cœur d’un champ de bosse barré de crevasses, de troncs morts et d’autres pièges traitreusement dissimulés sous les herbes hautes.
Le plateau accidenté où j’ai longuement lutté
Plutôt que la centaine de minutes estimée, c’est trois bonnes heures et beaucoup d’énergie que je dépense dans ce pseudo-raccourci maudit. La voie principale m’aurait à peine coûté plus de temps. Et contrairement à mes prédictions, elle aurait été plaisante, le sommet du mont Subra m’apparaissant pleinement dégagé des brumes au moment où je rattrape le balisage officiel. Ravalant mon dépit, je repique vers la côte et dévale presque en courant une piste de plus en plus large, dans l’intention d’achever le trek avant le crépuscule.
Vers Herceg Novi
De la haute vallée où se conclut mon improvisation ratée…
…vue en arrière sur le mont Subra…
…et en avant sur le refuge privé Za Vratlo…
…dominé par l’ombre du mont Siljevik
Une vallée étroite plonge vers la côte…
…et le port d’Herceg Novi, dernière ville monténégrine avant la Croatie
Parmi ses curiosités architecturales, une ultime portion de la voie austro-hongroise…
…le vieux pont de Matkovića…
…plusieurs chapelles en pierre…
…le fort Kanli Kula…
…et un centre-ville pittoresque, axé autour de l’église de l’Archange Saint-Michel
La frontière croate n’est distante que de 5 kilomètres, Dubrovnik de 50. Et pourtant, je n’y mettrais pas les pieds avant dix jours. Entre-temps, j’aurai effectué un ample détour par un dernier pays où je serais entré clandestinement, la Bosnie, pour dix jours de marche sur la plus belle section de la mythique Via Dinarica.