Depuis cinq ans que la randonnée rythmait ma vie, la période de Noël m’était de moins en moins supportable. Moi qui profitait de toutes les possibilités que me laissait mon emploi, de chaque interstice entre deux sessions de travail, de chaque jour de congé payé pour m’évader dans la nature bretonne ou grecque, je me retrouvais contraint de prendre deux de mes cinq semaines de vacances au début de l’hiver, au moment où prédominent le froid, la pluie et surtout la nuit. En résultait l’impression détestable de gaspiller un temps précieux.
Au lendemain des fêtes familiales de décembre 2015, des pensées de cet ordre m’agitent une fois de plus l’esprit. Elles sont d’autant plus obsédantes que je viens, quelques semaines plus tôt, d’entreprendre mes deux premiers randonnées itinérantes en solitaire (voir ici). Je ne dépends plus que de moi-même pour me lancer dans ce genre d’expédition ; pourquoi diable continuer à végéter en ville alors que je dispose d’une plage de temps conséquente à exploiter ?
Au soir du 28 décembre, alors qu’il me reste une dizaine de jours avant de reprendre le travail, je me convainc définitivement d’en faire bon usage et vadrouille toute la nuit sur internet pour mettre en forme dans l’urgence une randonnée d’une petite semaine.
Il me faut trouver un coin où les conditions météorologiques hivernales sont douces, où la durée du jour reste acceptable, et dans lequel je pourrai me rendre sans exploser mon budget. Je conclus d’une première recherche que l’archipel des Canaries est la destination idéale. Je m’y rendrais d’ailleurs l’hiver suivant (voir ici). Seulement, il ne faut pas s’y prendre à la dernière minute : les prix des billets d’avion se sont envolés depuis des mois. Pour les mêmes raisons financières, je dois exclure l’île de Madère et les destinations plus exotiques encore, telles l’Amérique latine, l’Asie du sud-est, les îles des Caraïbes, du Cap-Vert, de la Réunion. Exclu également, le continent africain, qui ne m’intéresse pas.
Ne reste en course que le sud de l’Europe. La Grèce est réservée au duo que je forme avec Ivonig. Quant au dilemme entre L’Italie et ses îles, le sud de la France, l’Espagne et le Portugal, il est arbitré en faveur de ce dernier pays dès que je découvre, d’une part les températures océaniques très douces qui y règnent en hiver, d’autre part les prix risibles des billets à destination de ses principaux aéroports, ceux de Porto, Faro et Lisbonne. Aux abords de la troisième se trouve le parc naturel de Sintra. Une heure à me renseigner à son sujet, et je me promets de m’y rendre un jour. J’hésite seulement à le faire dans l’immédiat, la faute aux très fortes pluies qui frappent en décembre cette région toujours très humide. Je ne valide le choix qu’après avoir tâté diverses alternatives, toutes moins convaincantes.
Le parc naturel de Sintra est situé entre la métropole de Lisbonne et l’océan Atlantique. Il est constitué d’un ensemble de monts aux roches étranges, couverts d’une végétation rendue luxuriante par la forte pluviométrie locale. Ce paysage stimulant l’imagination des poètes, entre autres d’un Byron, a fait de l’endroit un haut lieu du romantisme au XIXème siècle. Nombre de représentants de l’aristocratie européenne déclinante y ont fait réaliser leurs ultimes expérimentations architecturales avant d’être mis au ban de la vie politique ; d’où une floraison de palais extravagants et de villas farfelues autour de la ville de Sintra, déjà chargée d’histoire. Pour avoir exploré tous les coins du parc, je confirme que l’alliage d’édifices excentriques de toutes sortes et d’une nature dense et sauvage y forme un ensemble fascinant.
Dès que je me suis décidé, je réserve, pour une bouchée de pain, un voyage aller-retour Paris-Lisbonne. Il m’offre une latence de six jours, un que je consacre à la visite de Lisbonne et cinq à randonner dans le parc de Sintra, avec l’objectif de rallier tous ses sites remarquables. La plupart sont architecturaux : ville et palais de Sintra, palais de Pena, de Monserrate et de la Regaleira, château des Maures, couvent des Capucins, sanctuaire de Peninha, village portuaire d’Azenhas do Mar. D’autres sont naturels : outre les sommets notables de quelques collines, je vise en premier lieu le cap de Roca, extrémité occidentale de l’Europe, et la côte alentour, déchirée par des flots tumultueux qui à plusieurs endroits ont séparé du continent d’immenses saillies rocheuses. En deux jours de lectures et de recherches sur internet, j’élabore mon programme de marche dans ses moindres détails.
La planification initiale de la randonnée
Si on excepte ce qui a trait aux transports, jamais un de mes plans n’aura été si peu respecté. A part la première et la sixième nuit à Lisbonne, je n’ai pas dormi dans un seul des endroits préétablis, et si j’ai visité tous les sites qui m’intéressaient, j’en ai ajouté quelques autres, au fil d’un trek dont le tracé s’est révélé complètement différent de celui que j’avais initialement prévu.
Le tracé de la randonnée effectivement réalisée (liens openrunner 1, 2 et 3)
Je préviens tout de suite ceux qui souhaiteraient suivre mon exemple que le parc de Sintra, s’il reste assurément un endroit exceptionnel, ne convient pas vraiment à la randonnée pédestre, et ce pour une raison essentielle : les chemins qui permettent de l’explorer sont presque tous des voies carrossables ; ceux balisés par les organisations de randonnée locales en sont même systématiquement. Si on excepte mon arrivée improvisée sur la côte le deuxième jour, jamais je n’ai emprunté, dans la longueur, de véritables sentiers. A vrai dire, les seuls chemins agréables en soi sont ceux tracés dans les jardins des palais.
Mieux vaut donc parcourir le parc naturel en voiture, à moto ou, et c’est l’idéal pour ceux qui ne craignent pas les montées abruptes, à vélo ; aller ainsi de site en site, et alors seulement les visiter à la marche. Je conseille également aux lecteurs intéressés de se rendre à Sintra durant les périodes les plus sèches, ou plutôt les moins humides de l’année. Je peux conforter les sites météorologiques précisant en choeur que ce n’est pas le cas du mois de décembre : durant mon séjour, je me suis fait régulièrement et copieusement arroser. C’est même un déluge terrible que j’ai pris sur la tronche le troisième jour.
Malgré ces bémols, je garde un excellent souvenir de cette randonnée. Outre la découverte du Portugal et de la fascinante région de Sintra, j’y ai enchaîné les expériences inédites, l’essentielle étant la randonnée solitaire au long cours à l’étranger, l’accessoire étant l’usage croisé, que je réitérerai de nombreuses fois à l’avenir, de systèmes low-cost tels qu’un bus Isilines, un train Ouigo, un logement Airbnb, et même un logement « no-cost » durant ma troisième nuit, passée dans une maison abandonnée près d’Azenhas do Mar.
Autre élément inédit, sur le plan du matériel : j’ai testé pour la première fois les chaussures Meindl Borneo 2 MFS. Une expérience mitigée à court terme, car je ne les aurai toujours pas « cassées » au terme du voyage ; il me faudra cent kilomètres de plus en Bretagne avant qu’elles soient enfin adaptées à mon pied. A long terme cependant, c’est une découverte décisive, tant ces chaussures me conviennent. Je les apprécie à tel point que je les ai ressemelés un an et demi plus tard, après les avoir définitivement flinguées en Catalogne.
Le trek solitaire dans la région de Lisbonne m’a tellement plu que, dès mon retour, j’en projette un deuxième, qui doit se dérouler quatre mois plus tard dans une région tout aussi pluvieuse : la province irlandaise du Leinster (voir ici). Ainsi est lancée une série de voyage européens qui n’est pas prête de s’achever.