Plus grande île des Cyclades, Naxos fourmille de sentiers que nous avons déjà exploré à deux reprises. Au retour de notre premier trek sur l’île, en 2010 (voir ici), nous avions examiné la carte Anavasi de Naxos en détail et imaginé un tour intégral de ses vallées centrales. Le circuit envisagé devait transiter par les plus beaux chemins, que nous comptions joindre par deux tracés inventés de toute pièce. Ces deux improvisations consistaient principalement dans l’escalade, hors de tout sentier, des deux principales montagnes de l’île, le mont Zeus et le mont Koronos.
A l’époque, nous étions des novices de la marche, notre matériel était risible, notre condition physique douteuse ; réaliser un tel circuit nous semblait improbable, voire suicidaire, et nous en parlions comme d’un projet utopique impossible à réaliser. C’est avec l’objectif de l’accomplir, fort de l’expérience accumulée depuis, et d’achever ainsi en beauté nos périples dans les Cyclades, que nous déboulons six ans plus tard dans la Chora de Naxos.
Le parcours prévu et effectué ; en bleu, les deux premiers jours de marche, narrés dans ce récit (lien openrunner)
Nous entamons le dernier gros trek de cette seconde traversée des Cyclades assez usés par seize jours de marche parfois éprouvants. Une lessive finale dans le lavomatique de la Chora et nous rejoignons Melanes, point de départ d’une randonnée intensive de quatre jours. Plein à craquer, le car qui nous y emmène ne compte pas un touriste, témoignage du caractère vivant et authentique de Naxos.
L’arrivée à Melanes nous galvanise : finie l’aridité d’Ios, Donoussa et Heraklia, retour de la verdure ! Notre aventure démarre cependant par un faux pas ; alors que nous avions déjà enfourné deux pitas à la Chora, nous enchaînons avec un repas goûteux mais trop copieux. Il faut du temps pour digérer tout cela et nous nous élançons au ralenti vers notre objectif, les Kouroi, deux statues antiques d’adolescents abandonnées sur leur chantier avant d’avoir été achevées.
De Melanes au Kouroi
La vallée verdoyante de Melanes
L’entrée de notre festin : quelques fromages du coin avec du caviar d’aubergine et des pains imbibés d’aïl et de citron.
La chapelle au bout du village, où nous faisons une pause digestive
Le sentier vers les Kouroi ; au loin, les premières collines de l’île
Les deux Kouroi
Notre visite terminée, nous rejoignons la vallée de Potamo au fil d’un sentier rendu exceptionnel par son état impeccable comme par sa situation, puisqu’il surplombe les vallées alentours, sur lesquelles il offre une succession de vues panoramiques. Sa beauté perdure jusqu’à ce qu’il débouche, au terme d’un long faux-plat descendant, dans le hameau d’Ano Potamia. Ivonig et moi sommes d’accord pour considérer ce chemin comme l’un des plus beaux de toutes les Cyclades.
Le sentier superbe menant des Kouroi à Ano Potamia
Le début terreux du sentier
Un paysan juché sur sa mule
Quelques photos de la longue section pavée en faux-plat descendant
Vue en arrière sur un segment parcouru
Ano Potamia apparaît au loin
La fontaine d’Ano Potamia, où nous nous abritons quelques minutes d’un soleil ardent
A Ano Potamia, nous rejoignons un tracé parcouru deux fois déjà, qui nous emmène vers Tsikalario. Au passage, nous grimpons, pour la troisième fois, le sommet du Paleokastro. Nous ne nous lassons pas de la vue panoramique sur les vallées intérieures de Naxos dont on peut profiter depuis le château vénitien en ruines couvrant le sommet. Nous ne traînons pas trop toutefois, le temps jouant contre nous, et dévalons sans tarder les pentes nous menant à Tsikalario.
Autour du Paleokastro
La bosse du Paleokastro
Vue vers le nord de l’île durant l’ascension du Paleokastro
Les ruines du fort vénitien
Ivonig touchant pour la troisième fois le poteau géodésique
Vue vers l’est et la vallée de Chalki
Les vestiges d’une tour massive dépassée durant la descente
Vue vers le sud rocailleux ; à l’arrière-plan, la vallée d’Ano Sagri, prochain objectif ; à l’horizon, l’île d’Ios
Le mont Zeus, menaçant objectif du lendemain
Vue rétrospective sur le Paleokastro
Au hameau de Tsikalario, nous quittons le tracé usuel pour un autre, inédit, s’orientant vers le sud de l’île et le temple de Demeter. Au passage, nous traversons le bourg d’Ano Sagri. Il est assez quelconque, tous comme les chemins qui nous y mènent. Au-delà du village, nous retrouvons de beaux sentiers qui filent dans la plaine jusqu’au temple antique de Demeter. Visite payante ou pas, l’accueil est de toute façon fermé, ce qui ne nous empêche pas de jeter un coup d’œil après avoir enjambé la barrière.
Vers le temple de Déméter
Un passage verdoyant au sud de Tsikalario
Nous franchissons une ou deux bosses par des sentes comportant quelques belles sections pavées…
…puis filons dans la plaine vers Ano Sagri
La chapelle byzantine d’Agios Nikolaos, près d’Ano Sagri
Les ruines du temple de Demeter
Je propose que nous dormions ici, sur le pavage du temple, mais mon frère tance mon audace. Il préfère pousser jusqu’au Kastro Apalirou, château en ruine couronnant une colline proche. Cela nous arrange d’autant plus qu’il nous faut prendre le plus possible d’avance, afin d’arriver dès le lendemain soir à Apiranthos, le seul village touristique du centre de Naxos, où nous espérons trouver un bar qui diffuse la finale de la Ligue des Champions.
En nous approchant du mont où est située la forteresse, sur des routes asphaltées, puis carrossables, nous distinguons soudain une grande muraille ceinturant le sommet, longtemps indétectable. A mesure qu’on l’approche, elle révèle ses imposantes dimensions. Arrivés au pied de la colline, nous ne trouvons pas l’hypothétique chemin indiqué sur les cartes ; nous voilà contraints de nous hisser hors-sentier jusqu’au château, dans une jungle d’arbustes truffée de toiles d’araignées.
L’ancestrale chapelle bâtie sous la muraille n’est plus qu’un tas de cailloux où logent probablement quelques vipères; impossible d’y dormir. Nous grimpons donc au sommet, où nous nous arrêtons quelques temps pour savourer la vue, avant de partir en quête d’un lieu correct où bivouaquer. Tâche compliquée, les parages étant bosselés, caillouteux et balayés par les vents. Faute de mieux, nous calons notre literie dans une zone relativement plate, contre la muraille, qui nous protège des bourrasques soufflant depuis le continent.
Le Kastro Apalirou
La muraille du château, vue depuis le début de la grimpe
L’ancienne chapelle
La muraille vue de près
Le sommet, pas un lieu de bivouac idéal
Notre bivouac établi contre la muraille
Vue depuis le Kastro sur les vallées occidentales de Naxos…
…sur la chaîne du Koronos au nord, que nous devons gravir hors-sentier le surlendemain…
…enfin sur le mont Zeus à l’est, que nous envisageons d’atteindre par une improvisation hors-sentier dont les flèches donnent une idée
La nuit est moyenne; pas le meilleur moyen de préparer ce qui devrait constituer la plus rude journée de marche du séjour ! Nous levons le camp avant même le lever du jour, stressés à l’idée d’avoir planifié un tracé irréalisable et de ne pouvoir atteindre le mont Zeus.
Comme toujours quand nous marchons hors-sentier, c’est Ivonig qui trace la route. Nous descendons dans la vallée au nord du Kastro, bifurquons vers l’est au creux d’un étroit vallon puis entamons une grimpe rendue éprouvante par la caillasse et les épineux. Ce hors-sentier reste toutefois dans nos cordes ; à aucun moment, nous devons rebrousser chemin, du fait d’un passage infranchissable ou dangereux. Peu avant de franchir le col, notre effort prolongé est récompensé par le passage d’un aigle juste au-dessus de nos têtes. Passé le col, nous plongeons dans un vallon intermédiaire, toujours hors-sentier, et atteignons une route sur laquelle nous pouvons reprendre notre souffle et réajuster nos chaussures.
Quelques centaines de mètres plus loin, nous quittons la route pour un nouveau hors-sentier : une montée raide vers la crête du mont Zeus. L’aigle qui nous surveille en rejoint quelques autres ; ils tournoient au-dessus de nos têtes, dans une chorégraphie légèrement inquiétante. A mi-pente, nous obliquons vers le nord par une section très pentue, mon frère étant décidé à surpasser son vertige. Une petite session d’escalade et nous atteignons la crête.
Vers la crête du mont Zeus
Vue rétrospective sur le Kastro Apalirou pendant la descente initiale
Peu avant le col, une vue en arrière sur la première grimpe hors-sentier
L’aigle qui nous scrute durant ladite grimpe
Au col, la crête du mont Zeus apparaît devant nous
Pour y accéder, il nous faut d’abord descendre vers la route…
…puis remonter par un raidillon…
…sous le regard intrigué des aigles
L’escalade finale avant la crête
La crête atteinte, il nous faut encore la longer jusqu’au sommet, sur une trajectoire en légère montée. Mon frère préfère ce segment au précédent, pas moi, car une mer d’épineux rigides obstrue notre route. Si nous voulons avancer à une vitesse décente, nous ne pouvons les empêcher de nous lacérer les jambes. Après une heure de marche qui me paraît interminable, nous laissons enfin derrière nous le champ de buissons et achevons l’ascension sur des rochers dénudés. La matinée est déjà assez avancée quand nous atteignons, pour la troisième fois, le sommet du mont Zeus, point culminant des Cyclades et terme d’un effort de quatre bonnes heures.
L’ascension finale du mont Zeus
L’arrivée sur la crête ; devant nous démarre la mer d’épineux
Le passage infernal dans la buiscaille
Le final rocailleux
L’ample cirque formé par le flanc sud-ouest du mont Zeus
Vue vers l’ouest depuis les abords du sommet ; à l’horizon, Paros
Ivonig paradant au sommet du mont Zeus pour la troisième fois
Nous fêtons notre accomplissement avec une salade grecque. Notre joie dissipée, la fatigue s’y substitue et rend désagréable notre descente vers Danakos par le sentier usuel, d’autant plus que notre isolement habituel est brisé par la présence de nombreux randonneurs, ce parcours étant l’un des plus arpentés des Cyclades.
La descente vers Danakos
La première partie de la descente, vers Agia Marina, belle mais très empruntée
La seconde partie, vers Danakos
Elle s’effectue parfois sur de beaux escaliers
Le platane de Danakos
Malgré une longue pause dans la taverne de Danakos, nous repartons toujours aussi las. L’ascension du kalderimi vers le monastère fortifié de Fotodotis se fait au ralenti. Je prends le temps de le contempler ; Ivonig s’en désintéresse, pressé qu’il est d’atteindre Apiranthos.
Autour du monastère fortifié de Fotodotis
L’ascension vers le monastère
Il se dévoile à l’horizon
Le monastère se résume à une tour médiévale massive
Vue rétrospective sur l’édifice
Dans la vallée suivante, une mauvaise surprise nous attend, puisque le sentier menant à Apiranthos, que nous avions emprunté sans soucien 2013, semble depuis avoir été sabordé. Nous divaguons une heure dans la nature sans parvenir à le localiser et finissons, exaspérés, par rejoindre la route à travers des propriétés privées jalonnées de barrières difficilement franchissables.
La vallée où nous allons bientôt nous égarer ; au loin, notre objectif, le village d’Apiranthos
Nous arrivons a Apiranthos éreintés par les erreurs de trajectoire, la fatigue et la chaleur. En guise de réconfort, le bistrot que nous visions depuis deux jours diffuse bien le choc footballistique du soir, et après une victoire du club que nous supportons au bout de la nuit, nous pouvons installer notre bivouac au bord de l’une des chapelles du village.
Nous nous endormons bien plus tard qu’à l’accoutumée ; la nuit sera courte car il nous faut partir de bonne heure, un hors-sentier presque aussi improbable que celui accompli aujourd’hui nous attendant demain.