Mille bornes dans le Massif central (printemps 2018) – 10/31 – les gorges de l’Ardèche

Nous avions prévu de remonter de bout en bout les gorges de l’Ardèche en deux petites journées ; les circonstances nous en empêcheront et nous contraindront à nous extraire du canyon au niveau du bivouac du Gournier.

En rouge, notre remontée sabordée des gorges (lien openrunner)

Le mauvais temps annoncé en fin de matinée, les avertissements du gérant du camping quant aux difficultés du parcours, la nécessité d’arriver aux points de canoë-stop avant que les derniers kayakistes les aient dépassés, et plus simplement l’expérience que nous avons engrangé sur la lenteur de la progression en fond de gorge : autant d’éléments qui nous incitent à nous lever plus tôt que jamais. A même pas 6h du matin, nous sommes déjà sur la brèche. Effort tout à fait inutile, puisque à notre grand désarroi, les premières gouttes tombent à peine une heure plus tard.

A peine dix minutes de marche sur une sente escarpée et une première difficulté donne le ton : un passage en tunnel nous obligeant à nous contorsionner et ramper sur quelques mètres.

Un départ costaud

Les premiers mètres, sur étroit replat rocailleux de la paroi

Vue en arrière au niveau du rapide de la Caville

Un passage à flanc de falaise où l’on peut s’aider de rampes en fer

L’entrée du tunnel

Ivonig dans le tunnel

La sortie

Une section enchanteresse récompense ce premier effort, mais l’apparition de la pluie nous empêche d’en profiter.

Suivent quelques autres passages techniques.

Nous sommes partis depuis une heure lorsque nous abordons le rapide de la Cadière, au niveau duquel se situe le passage plus problématique évoqué la veille par le gérant du camping.

Ce vieux briscard nous a prévenu que l’Ardèche débordante a recouvert à hauteur d’homme un passage technique au bord de l’eau, qu’il est impossible de s’y engager sans, catastrophe, se faire emporter par le courant irrésistible, et qu’il nous faudra passer par la falaise le surplombant, dans un aménagement de la paroi qui nécessitera d’enjamber le vide sur un mètre.

Telle qu’il nous la décrivait, l’opération semblait accessible ; la réalité est toute autre. Dans les trois derniers mètres du passage alternatif, il nous faut en fait ramper dans une fissure horizontale de la falaise creusée trois mètres au-dessus de la rivière, un étroit couloir d’à peine un mètre de large, qui se rétrécit en son milieu, et dont le sol fortement incliné présente un revêtement détrempé particulièrement glissant. Il n’y a aucun appui pour les pieds, aucune prise dans la paroi pour les mains, et, pire encore, pas la place pour passer avec un sac sur le dos.

Le passage en question ; en bleu, la voie conventionnelle recouverte par l’Ardèche ; en rouge, celle que nous devons emprunter ; c’est à son terme, à la pointe de la flèche, que se situe le passage clef

Mon frère est plus que sceptique et pense déjà à rebrousser chemin; pour le mettre en confiance, je me défais de mon sac et m’engage en rampant dans la fissure. Bien que l’absence totale de sécurisation me stresse, je parviens sans mal de l’autre côté.

La fissure vue depuis la suite du parcours

Le test est réussi, mais le plus dur reste à faire : il me faut retourner au milieu du passage, à l’endroit le plus étroit, pour m’emparer des deux sacs en faisant face au vide et les projeter de l’autre côté sans que le mouvement m’emporte dans la rivière. Je n’ai pas vraiment le choix et m’exécute, la peur au ventre.

A mon grand soulagement, l’opération se déroule sans accroc. Reste la troisième étape, celle que je crains le plus : le passage de mon frère, dont le visage livide n’augure rien de bon. Il s’engage à contrecœur dans la fissure mais se fige en son milieu, à l’endroit où elle rétrécit, et panique littéralement. Je l’encourage tout en me demandant ce que je devrai faire au cas où il glisse dans la rivière : y sauter à mon tour à sa poursuite ou revenir à la marche pour le récupérer plus bas ? Alors que je rumine ces pensées morbides, Ivonig mobilise sa volonté et parvient à s’extraire du corridor. Ouf !

Il nous faut dix bonnes minutes pour recouvrer nos esprits, et pour cause ! Nous venons de surmonter une épreuve bien plus marquante que celles que nous avons vécues par le passé, dans des passages pourtant plus impressionnants par leur aspect technique ou vertigineux. C’est bien la première fois, depuis que je randonne, que j’ai eu l’impression de ne pas maîtriser les risques que je prends.

Même si nous sommes sortis du pétrin, l’ambiance est morose ; les tensions de la veille resurgissent, et nous peinons à prendre du plaisir sur la suite du parcours, surtout que la pluie s’intensifie. Et pourtant, le canyon gagne en majesté.

Au cœur des gorges

Le virage suivant le rapide de la Cadière

Vue en arrière sur la paroi où nous avons lutté

Une des rampes disposées sur la suite du parcours

Au loin apparaît une première falaise monumentale, les Remparts du Garn

Vue en arrière sur ladite falaise depuis la suite du parcours

Une autre paroi impressionnante, le rocher du Fort de la Madeleine

En face, la paroi s’affaisse au niveau de la combe de Mounier ; à sa droite, la falaise de Rouvière

Ladite Rouvière, une falaise verticale de plus de 200 mètres

Une heure plus tard, une épingle serrée de la rivière sépare deux sites emblématiques des gorges. Sur sa rive extérieure, l’Ardèche est encerclée par l’amphithéâtre naturel du cirque de la Madeleine ; elle enserre elle-même presque totalement une pyramide boisée dont unes des pentes renferme les ruines de la maladrerie des Templiers.

Le cirque de la Madeleine

La boucle formée par l’Ardèche

Le cirque de la Madeleine, vu d’aval…

…et d’amont

Le cône arrondi de la maladredie des Templiers…

…dont les ruines se situent là où  l’arête joignant la pyramide et la falaise s’affaisse

La sortie du cirque

Un peu plus loin, c’est à un autre site fameux que nous avons affaire : un énorme piton rocheux, adéquatement nommé la Cathédrale, dont la masse imposante surgit des pentes boisées de la rive gauche de l’Ardèche. Dans les kilomètres qui suivent, la pluie redouble d’intensité ; nous sommes bien contents de pouvoir nous réfugier sous les marabouts du bivouac du Gournier.

De la Cathédrale au Gournier

La Cathédrale

L’averse fait rage

Un nouveau passage inondé, pris avant…

…et après mon passage

Dans la foulée, un énième segment escarpé équipé de rampes

La section finale, plus reposante

Des canoës nous passent devant

Le bivouac du Gournier est proche du gué du Guitard, où nous devrions franchir une première fois l’Ardèche en canoë-stop. Ses gérants nous apprennent qu’à cause d’une crue constante des eaux, la rivière a été fermée aux kayakistes pour l’après-midi et probablement la journée du lendemain. Si les canoéistes présents acceptent de nous faire traverser la rivière, nous sommes certains de ne pas en croiser au second gué, celui du Charmassonet, et devons changer nos plans.

Nous avons deux alternatives : monter directement à la route asphaltée et la suivre pendant douze bornes jusqu’au Pont d’Arc, ou abandonner la découverte de ce site, traverser la rivière en canoë et rattraper le GR4, qui nous ramènera par une trajectoire plus courte à notre itinéraire au niveau du village de Salavas. Le mauvais temps persistant, l’envie d’économiser nos forces et la haine du goudron nous font opter pour le second choix. Nous attendent quinze bornes d’une marche plus ou moins intéressante, sous une pluie qui ne calmera ses ardeurs qu’à l’approche du camping de Salavas.

La sortie des gorges

Les canoéistes qui nous qui nous ont gentiment fait traverser l’Ardèche

Nous prenons de la hauteur…

…par un sentier chargé d’humidité

Une pause « essorage de chaussettes » au hameau des Crottes

A mi-parcours, le village et les vignes de Labastide-de-Virac

Une rue du village

La journée a été éprouvante ; nos chaussures et nos paletots sont plus imbibés d’eau que jamais. Une douche brûlante et une double ration de pizza ne seront pas de trop pour nous réchauffer les tripes.