En obtenant son permis, fin 2017, mon frère lève la seule barrière à la réalisation d’un projet que notre duo entend mener, sous diverses formes, depuis des années : un road-trek dans les montagnes de Grande-Bretagne.
Dès 2011 et l’intensification de nos randonnées, j’envisageais de redécouvrir à pied à l’Ecosse, pays où j’avais vécu un an sans vraiment sortir du campus universitaire d’Aberdeen. J’espérais corriger un jour cette erreur de jeunesse, tout comme mon frère entendait réparer le fait de n’avoir pu, faute d’argent, me rendre visite à l’époque.
En 2014, le Tour de France part du Yorkshire ; les collines dénudées que parcourent les coureurs frappent nos esprits, de même qu’un trek marquant, en fin d’année, dans les monts d’Arrée bretons, version miniature des immenses landes des îles celtiques. L’année suivante, nous hésitons à longer le mur d’Hadrien, entre Newcastle et Carlisle, au fil d’un tracé célèbre mais très surcoté. Nous préférons finalement consacrer la semaine concernée au tour du mont Athos ; excellent choix, tant l’Angleterre compte de destinations plus excitantes.
C’est le livre Les 1001 randonnées qu’il faut avoir faites dans sa vie, obtenu en 2016, qui affermit définitivement notre volonté, tant par sa couverture merveilleuse, sur laquelle se dressent les crêtes lunaires de la péninsule de Trotternish, que par ses pages consacrées au Pays de Galles, parmi lesquelles une photo des sommets herbeux des Brecon Beacons, que mon frère promet de visiter dès qu’il aura son permis.
C’est chose faite en 2018. A la fin de l’été, de retour du Dartmoor, massif tourbeux du Devon où j’ai vécu quelques jours extraordinaires, je stimule par mes récits l’imagination du frangin, et nous fixons pour l’année suivante un road-trek de 15 jours en Grande-Bretagne. Son armature sera le Three Peaks Challenge, défi célèbre outre-Manche, consistant à gravir en moins de 24 heures les points culminants des trois pays fédérés : le mont Snowdon au Pays de Galles, le Scafell Pike en Angleterre et le Ben Nevis en Écosse.
Je propose d’atterrir à Cardiff, de décoller d’Édimbourg, et d’accomplir entre temps une version maximaliste du Three Peaks Challenge, avec trois ou quatre jours de marche dans chacun des trois massifs, agrémentés d’un passage express dans les trois autres zones qui nous avaient piqués au vif les années précédentes : les Brecon Beacons, le mur d’Hadrien et le Yorkshire. Quelques jours avant le départ, mes plans sont chamboulés par une une longue soirée de recherches communes, qui nous amène à ajouter au menu quelques coins de l’île de Skye et de la chaîne montagneuse des Pennines.
Il me paraît bien difficile d’accomplir toutes les marches imaginées en à peine deux semaines de voyage. Des choix cornéliens se dressent sur notre route, que nous résoudrons en raccourcissant drastiquement les parcours établis dans les trois zones principalement visées, Snowdonia, Lake District et les mont Grampians ; raccourcissements salvateurs, même s’ils auront été moins voulus que subis, après que la terrible tempête Hannah se soit abattue sur les côtes du Pays de Galles, nous obligeant, dès les premiers jours du voyage, à revoir à la baisse notre itinéraire autour du mont Snowdon. Réfugiés dans un bistrot au pic de la tempête, nous craignons de subir d’autres aléas météorologiques et réduisons les marches futures à l’essentiel, en planifiant un maximum de nuits dans des bothies, des refuges non gardés enchanteurs semblables à celui où nous nous sommes réfugiés la veille au soir.
En écourtant notre passage dans Lake District et les monts Grampians et en profitant de dix jours finaux assez ensoleillés, nous allons pouvoir arpenter, sans jamais baisser de rythme, tous les autres lieux visés, et plus encore ; un tourbillon de montagnes décharnées, de plateaux désolés, de paysages grandioses et colorés, mêlant roches, tourbes, landes, prairies et bois épars, de bothies charmants et chargés d’histoire, de transitions en voiture presque aussi agréables que les marches elles-mêmes, d’expériences culinaires folkloriques, de rencontres improbables, le tout formant sans nul doute le plus mémorable road-trek de notre vie, dans des régions fascinantes et incroyablement sous-côtés par les touristes étrangers, si ce n’est la très visitée île de Skye. Et si les conditions ont été rudes, le froid vif en ce début de printemps, le vent constamment glacial et les tombées de neige fréquentes la nuit, nous avons, passée la tempête Hannah, été ménagés par le ciel presque à chaque journée de marche : peu de pluie, pas mal de soleil et surtout, aucune brume nous empêchant de profiter des plus fameux points de vue. L’intensité du voyage a été telle que nous avons dompté le Ben Nevis, dernier de nos objectifs, un demi-jour plus tôt que prévu, me permettant, en guise de final, de faire découvrir à mon frère la région d’Aberdeen, celle où je végétais quinze ans plus tôt dans une solitude estudiantine improductive.
Les treize étapes principales du road-trek
Notre road-trek a grandement été amélioré par une petite révolution électronique que j’aurais du entreprendre bien plus tôt, à savoir l’acquisition d’un smartphone excellent et bon marché, le Pocophone de Xiaomi. En comparaison de mon vieux Samsung, il offre trois immenses avantages : des photos bien plus belles, notamment par faible luminosité ; une autonomie considérable, d’autant plus que j’y ai ajouté une batterie externe de 26000 mAh et 400 grammes (ouch!), me permettant de le recharger au moins 6 fois ; enfin un écran bien plus grand qui, couplé avec l’énorme autonomie de l’appareil, me permet d’utiliser, avec tout le confort nécessaire, l’application GPS Oruxmaps, ses cartes offlines et les tracés GPX que j’y ai intégré, et de jeter aux oubliettes mes vieilles cartes imprimées.
Après avoir utilisé avec bonheur le Pocophone pendant deux semaines, je regrette amèrement de ne pas me l’être procuré dès sa sortie, un an plus tôt. S’il avait été en ma possession, j’aurais tiré de bien plus beaux clichés de mes pérégrinations hivernales, notamment celles dans la Sierra Nevada, et j’aurais pu profiter plus précocement d’un GPS dont je ne peux depuis me passer, tant ses indications sont incomparablement plus utiles que celles des cartes papiers, outils devenus complètement obsolètes. Le GPS aurait considérablement facilité nombre de mes expéditions de 2018, en premier lieu celle dans les étendues tourbeuses non balisées du Dartmoor.
Quant au road-trek proprement dit, je n’en tire qu’un seul regret : ne pas l’avoir fait durer une semaine de plus, ce qui aurait permis d’entamer le voyage par deux jours sur les côtes de la Cornouaille, d’ajouter deux jours dans les montagnes désolées de Lake District, ma région préférée, et d’explorer en deux ou trois jours les contrées hostiles du nord des Highlands. Pour le reste, il fut inoubliable, et les récits qui suivent montreront pourquoi !