Le sentier cathare a beau être, derrière les chemins de Compostelle et de Stevenson, l’une des randonnées françaises au long cours les plus réputées, mon frère et moi éprouvons à son égard le même sentiment mitigé qu’envers ses deux devancières, et pour les mêmes raisons : un itinéraire faisant trop la part belle aux routes goudronnées et aux pistes carrossables. Arpenter dans leur entièreté ses 270 kilomètres, non merci ! Nous pourrions faire bien meilleur usage des dix jours qu’un tel effort requerrait au minimum. Reste que les meilleurs passages du sentier et les châteaux nombreux par lesquels il transite nous tentent régulièrement ; aussi, dès que mon frère obtient son permis, j’imagine un road-trek nous permettant d’en découvrir l’essentiel en quelques boucles bien senties.
Un tel programme demanderait moins d’une semaine pour être accompli, en incluant deux demi-journées d’aller-retour entre la Bretagne et les Pyrénées. L’occasion se présente en février 2019, quand je dégage six jours de repos sans congé coïncidant avec une période de vacances de mon frère ; nous voilà lancés en plein hiver vers les Pyrénées.
A la base, j’entendais axer les divers circuits autour des principaux châteaux cathares, Peyrepertuse, Puilaurens, Quéribus, Montségur, mais en dehors de ce dernier, ils ont la fâcheuse tendance d’être positionnés dans des coins comptant peu de chemins pittoresques. A l’inverse, une variante du sentier cathare faisant détour par les gorges de Galamus et le Pech de Bugarach nous semble très prometteuse. J’y élabore un trek circulaire dont je fais le cœur du road-trek et que je complète par de petites boucles à destination des divers châteaux majeurs et par la visite des cités de Carcassonne et de Foix.
Une semaine avant le départ, une fois n’est pas coutume, Ivonig s’implique avec bonheur dans la préparation du trek. Quelques kilomètres au sud de Montségur, sur les pentes du pic de Saint-Barthélémy, la plus septentrionale des hautes montagnes ariégeoises, il repère des refuges non gardés où nous pourrions passer la nuit. De fil en aiguille nous concevons une boucle très montagnarde, moins destinée à visiter le château de Montségur qu’à marcher et dormir sur les contreforts enneigés des Pyrénées. Un autre refuge non gardé situé dans la Serra de Vingrau, barre calcaire placée entre les châteaux de Quéribus et d’Aguilar, près de la côte méditerranéenne, sert de base à un troisième et plus modeste circuit. Nous en effectuerons à l’improviste un quatrième, autour du château de Roquefixade.
A ces quatre randonnées significatives, totalisant plus de 70 kilomètres et près de 4000 mètres de dénivelé positif, nous ajouterons cinq balades, afin d’explorer les châteaux de Puilaurens et Peyrepertuse et les cités de Foix, Lagrasse et bien sûr de Carcassonne ; en tout neuf marches, auxquelles il faut ajouter des pauses contemplatives au pied des châteaux de Puivert, Quéribus, Aguilar et Villerouge-Termenès.
Les 13 étapes du trek ; en rouge, celles qui ont nécessité une marche plus ou moins longue ; en bleu, celles où nous sommes restés simples spectateurs
Depuis un an que nous disposons d’une voiture, mon frère et moi avons enchaîné les road-treks dans l’ouest de la France, en Bretagne à plusieurs reprises, mais aussi en Normandie, dans le Maine et le Périgord. Pourtant, ils font tous pâle figure, même le dernier cité, à côté de notre périple dans le Pays Cathare, qui fut jouissif de bout en bout. Beaucoup de raisons à cela : un temps continuellement splendide alors que nous sommes en plein hiver ; un programme d’une intensité constante, avec départ à l’aube et arrivée de nuit sur les sites de bivouac, dont deux furent des refuges non gardés charmants ; une grande variété des contrées arpentées, avec une alternance de haute et de moyenne montagne, de gorges et de collines de bord de mer, de châteaux de toutes sortes, de cités médiévales parmi lesquelles la plus belle du pays, sans oublier l’ermitage iconique de Galamus ; des transitions en voiture agréables, par de petites routes serpentant entre plateaux et défilés ; le fait, pour mon frère, d’avoir pu randonner dans la neige, après avoir souvent envié mes périples solitaires sur ce genre de terrain ; enfin le test de plusieurs nouveaux éléments de notre équipement, tels des anti-glisses très utiles sur terrain neigeux, un tarp D4 destiné à remplacer temporairement notre tente mal en point, de nouveaux pantalons et chaussettes de nuit, et pour mon frère, des chaussures de trail et une doudoune sans manche pour les veillées hivernales au coin du feu.
L’exaltation aura été constante, et son apothéose fut sans nul doute le foie gras mi-cuit dégusté le dernier jour à Carcassonne, après cinq jours au pain sec ; assurément l’une de nos plus belles claques culinaires!