A peine suis-je revenu du Portugal que je m’arrange avec mes collègues de travail pour m’aménager une petite semaine de vacances en avril sans avoir besoin de prendre de congés payés. Je m’orientais vers un périple dans l’arrière-pays catalan, que j’accomplirai finalement l’année suivante (voir ici), quand une connaissance me loue la beauté du littoral occidental de l’Irlande, où il se rend régulièrement. Sur cette terre, que je comptais un jour arpenter, les températures et précipitations sont à peu près semblables au printemps et à l’été ; quitte à m’y rendre, autant le faire dès ce mois d’avril.
A l’ouest de l’Irlande, les deux plus fameux trails sont la Dingle Way et plus encore la Kerry Way, qui permettent de découvrir ce que certains considèrent comme le côte la plus enchanteresse d’Europe. L’étude des deux tracés douche mon enthousiasme. Ils sont difficilement accessibles, ce qui rend compliqué leur réalisation en une semaine incluant un long voyage aller-retour. Surtout, ils se réalisent quasi-exclusivement sur des routes goudronnées ; beaucoup de témoignages insistent sur ce point pour moi crucial.
Si j’en crois mes lectures, les amateurs de véritables sentiers leur préfèrent le plus ancien trail irlandais, la Wicklow Way, parcourant les montagnes du Leinster à travers forêts, landes, tourbières et ruines d’églises ancestrales. Elle me séduit d’autant plus qu’elle démarre dans la banlieue de Dublin, capitale aisément accessible en avion depuis la France et où des bus peuvent facilement me ramener depuis l’endroit où s’achèvera ma marche. Dernier élément qui achève de me convaincre, la présence, le long du parcours, de trois abris en bois inspirés de modèles canadiens et spécifiquement destinés au bivouac.
Les randonneurs paisibles ont coutume d’accomplir la marche en sept jours. Les quatre premiers s’effectuent dans les montagnes du parc de Wicklow, avec pour objectif essentiel l’ancien monastère de Glendalough. C’est la séquence essentielle du trek. Le final, comptant deux jours dans des collines et un dernier en campagne, est bien moins apprécié.
Sur les quatre jours dont je dispose, je ne compte pas me contenter de la première partie, trop faible en kilométrage. J’hésite à accomplir la randonnée dans son entier, et opte finalement pour une seconde alternative : l’arrêter à Mullacor, la dernière montagne imposante, dont j’atteindrai l’abri le troisième jour, et revenir le lendemain à Glendalough au terme d’un long détour par le sommet du Camaderry, que je gravirai par un tracé improvisé et descendrai par un segment de la Kevin Way.
Moins encore qu’au Portugal, je respecterai mes plans. La faute à des jambes en feu qui m’ont permis, dès la première soirée, d’atteindre la première cabane, celle de Brusher’s Gap. J’y ai achevé l’une des journées de marche les plus intenses de ma vie, durant laquelle j’ai cumulé presque 45 bornes et 1600 mètres de dénivelé positif en dix petites heures de marche. Ce jour-là, l’équipement technique que j’ai achevé de constituer un mois plus tôt (sac à dos Kinpu San KS40 / tente Tarptent Double Rainbow / sac de couchage Cumulus Lite Line 300 / matelas autogonflant Therm-a-Rest Prolite Small) a fait la preuve de sa qualité, tant en terme de légèreté que de confort et d’efficacité, puisque j’ai passé une nuit au chaud par une température légèrement négative.
Grâce a cette avance d’un jour sur mes prévisions, j’ai pu par la suite combiner les deux alternatives entre lesquelles j’hésitais, consacrant le deuxième jour à l’ascension improvisée du Camaderry et les deux derniers à atteindre le final officiel de la Wicklow Way, à Clonegal ; au total, j’ai ajouté presque 50 kilomètres aux 100 que j’avais projeté d’accomplir.
Le tracé finalement suivi (lien openrunner)
Pour l’avoir intégralement parcouru, je peux confirmer la relative médiocrité du final du trail. Non que la campagne irlandaise soit sans charme, mais j’attends autre chose d’un périple que des dizaines de kilomètres sur du goudron, entrecoupés de quelques voies carrossables.
Plus largement, c’est l’ensemble de la Wicklow Way qui n’est pas transcendant. Je ne nie pas la beauté de certains panoramas, pas plus l’atmosphère mystique qui émane du site de Glendalough. Je loue également la douceur constante du climat, qui offre du matin au soir une température de marche idéale. Je confirme la grande sympathie de tous les Irlandais croisés sur ma route. Ceci dit, ce trek restera comme l’une des randonnées au long cours les moins exaltantes de ma vie, pour la simple raison qu’on l’effectue quasi-intégralement sur des routes carrossables, plutôt gravillonneuses durant la première partie en montagne, plutôt goudronneuses durant la seconde.
Pire encore, dans la section montagnarde, la plus prometteuse sur le papier, on traverse souvent des zones forestières soumises à l’exploitation, aux contours rectilignes, aux arbres parfaitement alignés. Ne s’en dégage aucun charme. Je n’ai pas souvenir d’un seul panorama de la Wicklow Way où l’on peut observer la nature sauvage en elle-même ; partout est visible la trace de l’homme et trop souvent, les flancs des montagnes arborent en leur centre des forêts de pins à moitié découpées et dont la partie subsistante forme un carré parfait. Cela rompt l’immersion dans la nature, à mes yeux l’essence de la randonnée. Ironiquement, le seul moment du séjour authentiquement propice à la contemplation a été l’ascension du sommet du Camaderry… par un tracé improvisé, en marge de la Wicklow Way. Il est assez affligeant d’avoir à s’émanciper des balisages officiels pour pouvoir jubiler pleinement !
D’autres éléments ternissent également le tableau, et d’abord la pluie, omniprésente, souvent torrentielle, parfois grêleuse, même si elle ne m’a jamais arrosé trop longuement. D’ailleurs, outre deux ou trois saucées, j’ai pris chaque jour au moins un bain de soleil, testant dans le réel l’incroyable instabilité du climat irlandais. Autre expérience désagréable, la balade finale dans Dublin, qui convient sans doute aux tempéraments festifs, pas au mien en tout cas. A part Glasgow, je n’ai jamais vu une ville si pauvre sur le plan architectural. Pas une église enchanteresse, pas une rue tortueuse, pas de belle pierre, partout domine le gris et le laid. Seul bon moment dans cette ville, mon repas dans un excellent restaurant libanais, de loin le meilleur du séjour, qui met cependant en valeur une autre faiblesse de l’Irlande : sa gastronomie douteuse.
Ceci dit, je ne voudrais pas trop charger la barque. Cette randonnée irlandaise restera le moment où j’ai pu, dans un environnement tout de même très dépaysant, réaliser mon premier trek solitaire intensif à l’étranger, après un voyage plus relâché au Portugal. Si l’expérience fait pâle figure, ce n’est qu’en comparaison des suivantes, et notamment de celle vécue quelques mois plus tard sur l’île de Tenerife (voir ici).