Périple castillan dans la Sierra de Guadarrama (avril 2018) – 0/4 – présentation du voyage

A un mois du départ de mon premier trek majeur, “Mille bornes dans le Massif central“, j’ai besoin de parfaire ma condition et, pour ce faire, cinq jours à ma disposition.

Depuis Rennes, l’une des villes les moins chèrement et plus rapidement accessible est Madrid. Je suppose la Castille environnante assez plate et m’imagine déjà accomplir une modeste marche rurale autour de Tolède, sa capitale historique ; un rapide survol des cartes espagnoles m’apprend qu’il n’en est rien, que le relief de la région est parfois très marqué. Je découvre même qu’en son centre, l’Espagne est scindée dans la longueur par une immense chaîne de montagne, la Cordillère centrale, dont une des composantes les plus notables, la Sierra de Guadarrama, passe quelques dizaines de kilomètres au nord-ouest de Madrid. De l’autre côté de ce massif, je repère une ville plus attirante que Tolède : la cité fortifiée de Ségovie. L’ensemble offre un terrain de jeu idéal pour me dégourdir les jambes !

J’achète un aller-retour Rennes-Madrid à prix modique et organise mon trek comme tel : après une balade vespérale et une nuit de repos à Madrid, j’explorerai la Sierra de Guadarrama, avec départ de l’Escurial, site monumental où sont enterrés les rois d’Espagne, et arrivée à San Ildefonso, célèbre lieu de villégiature de ces mêmes rois. De ce village, un bus me conduira à la ville voisine de Ségovie, que je visiterai avant de retourner à Madrid.

Comme en Catalogne l’année précédente, je pars sans tente, une série d’abris et de refuges devant me permettre de dormir à l’abri d’une pluie éventuelle, et élabore un parcours à plusieurs variantes. Aucune d’entre elles ne correspondra à l’itinéraire que les circonstances m’obligeront à emprunter, cumulant près de 100 kilomètres pour 4500 bons mètres de dénivelé et que j’avalerai en 3 jours et demi.

Le tracé complet du trek (lien openrunner)

La semaine chargée que j’ai vécu a été placée sous le signe du contraste : pas grand chose à voir, en effet, entre l’orgie monumentale des premiers jours (centre-ville de Madrid, complexe royal de l’Escurial, basilique de Los Caidos où gît Franco) et de l’après-midi final (palais royal de la Granja à San Ildefonso, ville fortifiée de Ségovie), et, entre ces deux passages urbains, la plongée solitaire prolongée dans la nature hostile et dépouillée de la Sierra de Guadarrama.

Dans cette montagne, j’ai été confronté à une difficulté aussi brutale qu’imprévue : la neige ! M’élançant à 2000 mètres de hauteur au printemps, je m’attendais, tout au plus,  à devoir traverser ça et là quelques névés, le climat castillan entraînant en général leur fonte précoce. C’était sans compter sur la rudesse de l’hiver 2018, le pire en termes de précipitations depuis des décennies, en Espagne comme en France. En a résulté un enneigement aux proportions inédites dans l’après-guerre, si j’en crois les locaux les plus âgés avec qui j’ai pu m’en entretenir. 

J’ai pu constater moi-même l’ampleur des dégâts : après une première journée tranquille, j’ai évolué, les trois suivantes, sur un revêtement neigeux parfois si abondant que je m’y enfonçais jusqu’aux genoux sur des kilomètres ! Il m’en a coûté un effort d’autant plus violent que mon équipement n’était pas adapté à la situation. Certaines séquences ont même été stressantes, voire dangereuses, dans des fonds de vallée où les plaques de neiges que je foulais au pied étaient en pleine fonte, laissant apparaître ici ou là de petites crevasses, et plus encore dans des montées et descentes si pentues que j’avais peur de provoquer un glissement de neige en les arpentant ; situations d’autant plus inquiétantes que je me trouvais en général dans l’isolement le plus total. Heureusement, j’ai pu me fier presque constamment aux traces de randonneurs ou de skieurs m’ayant précédé sur ces terrains douteux.

Les difficultés étaient telles que j’ai du shunter un final impraticable, du moins selon les rares locaux à qui j’en pu en parler. A deux autres reprises, j’ai hésité à raccourcir le parcours, à zapper notamment le vaste détour vers la Pedriza, une formation granitique s’étirant à l’est de la Sierra de Guadarrama. Ç’aurait été plus prudent, mais regrettable, tant sa traversée fut un moment mémorable et, à mon niveau, une prouesse physique, la deuxième journée de marche, achevée au pied de la Pedriza, étant l’une des plus copieuses de ma vie : un marathon de 43 bornes, dont une bonne moitié dans la neige et la rocaille, pour 1400 mètres de dénivelé positif et 2200 de négatif ! J’ai marché de l’aube au crépuscule, à bloc, et malgré quelques pépins, le sourire aux lèvres.

Malgré moi, j’ai durci encore l’épreuve que fut ce trek en jugeant bon, en ce mois d’avril, de ne pas emporter de crème solaire… Erreur fatale que je ne commettrai jamais plus ! Car, tout rigoureux qu’il ait été, l’hiver avait pris fin ; c’est un soleil ardent qui m’accompagnera tout le long du trek, et son reflet constant dans la neige alentour aura raison de mes joues et mes mains, qui finiront rouge pivoine et mettront deux semaines à s’en remettre. Que ne faut-il pas faire pour profiter de la nature !