Traversée de la chaîne Tramontane à Majorque (décembre 2017) – 0/7 – présentation du voyage

Après Tenerife l’année précédente, je comptais consacrer à Madère les vacances hivernales que m’impose comme à l’habitude mon employeur. Les tarifs prohibitifs des billets d’avion à destination de l’île portugaise m’en dissuadent. Je me rabats sur les Baléares, quotidiennement desservies depuis Rennes avec escale à Barcelone, et décide, au vu 15 jours à ma disposition, de randonner consécutivement sur ses deux îles les plus alléchantes, Majorque et Minorque.

Mon plan consiste à atterrir à Majorque depuis Barcelone et à traverser, en une grosse semaine, l’île d’ouest en est par son principal massif montagneux, la Serra de Tramuntana. Le trek s’achèvera au port d’Alcudia, où un ferry m’emmènera à Minorque, dont je ferai le tour en une petite semaine par son sentier côtier, le Cami de Cavalls (GR223), avant de m’envoler pour Rennes via Barcelone.

J’évoque dans un autre récit le trek minorquin ; dans l’immédiat, c’est Majorque qui m’intéresse. Le célèbre parcours balisé de la Ruta de Pedra en Sec (GR221) permet de traverser la chaîne Tramontane en 5 ou 6 jours. Ayant 3 journées de plus à ma disposition, j’élabore autour du squelette de ce trek un tracé plus élaboré, que j’ai avalé avec quelques variations plus ou moins volontaires.

Le tracé finalement réalisé (lien openrunner)

La réalisation du trek a été compliquée par des difficultés d’ordre divers :

-une moyenne journalière de 20 bons kilomètres avec plus de 1000 mètres de dénivelé, programme corsé quand on n’a qu’un fenêtre quotidienne d’une petite dizaine d’heures pour le réaliser, dans une île soumise à un cycle hivernal bien plus marqué qu’à Tenerife;

-des nuits si longues que je me serais fermement ennuyé si mon smartphone n’était pas chargé de podcasts et de livres électroniques ;

-une première partie jusqu’à Esporles parcourue hors des balisages du GR221, sur des chemins de crête formant un vague labyrinthe peu voire pas balisé ; je m’y suis égaré à plusieurs reprises, perdant beaucoup d’énergie à tourner en rond et à douter de chacun de mes choix, et vivant même, surpris par une terrible tempête, une première soirée épique qui aurait pu mal terminer ;

-une section du GR221 reliant Esporles à Valldemossa très mal balisée voire barrée de grillages, du fait des conflits récurrents entre les gérants du trek et les chasseurs du coin ;

-une remontée des gorges du Torrent de Pareis éprouvante sur le plan physique mais aussi sur celui de l’orientation, le balisage étant uniquement conçu pour être visible par ceux qui descendent, ce qui m’a autant posé problème dans les étangs où démarre la montée que dans les chaos rocheux qui l’agrémentent et dans son raidillon final entre les buissons ;

-une difficulté systématique à progresser hors des chemins balisés, si ce n’est dans les hauteurs, les terres du massif étant constamment grillagées par leurs propriétaires et protégées par des chiens très agressifs, ce qui a transformé nombre d’impros que j’avais programmé en luttes parfois vaines avec retour en arrière ;

-une météo très mauvaise le septième jour qui m’a amené à abdiquer la grimpe du sommet de l’île, le Puig Major, le temps gagné m’ayant permis de gravir un autre sommet le lendemain, le Puig Tomir, par un temps ensoleillé mais sous des bourrasques si violentes que je peinais à rester debout ;

-des difficultés à se réapprovisionner en eau pendant trois jours, entre Soller et Lluc ;

-sur l’ensemble du trek, une mise en danger fréquente dans des coins casse-gueules et désertés où je ne captais pas et n’aurais reçu aucune aide en cas de blessure, telles les crêtes des premiers jours, les gorges du Torrent de Pareis ou la descente du Puig Tomir par le pas du Diable.

Ceci dit, j’ai bénéficié de conditions objectives somme toutes favorables : temps doux le jour, pas trop froid la nuit même dans les hauteurs, soleil constant si on excepte les saucées du premier et du septième jour, et surtout de nombreux abris m’ayant permis d’économiser un temps précieux en ne montant la tente que 2 fois en 9 jours. Les autres nuits, soit j’ai dégoté des caches de fortune et autres cabanes montagnardes, la halte dans celle de Cornador Gran étant la plus inoubliable du séjour, soit j’ai payé ma couche, avec en point d’orgue la nuit au charmant sanctuaire de la Mare de Deu des Puig, où j’ai été gracieusement accueilli pour une somme modique, bien qu’il soit théoriquement fermé à cette époque de l’année.

Au-delà des bivouacs, c’est la marche qui a été des plus agréables. On baigne constamment dans une splendide montagne méditerranéenne en bord de mer, dont on peut explorer les pentes en plein hiver, au cœur de l’Europe, sur des sentiers peu fréquentés mais constamment enchanteurs, la palme allant aux nombreuses et saisissantes sections pavées en pierre sèche qui ont donné son nom au trek. Seule l’étape finale entre Lluc et Pollenca manque d’intérêt, mais on peut à mon exemple en escamoter une partie en faisant un détour par le Puig Tomir. Autre point fort, un très riche patrimoine architectural : monuments embellissant des grandes villes pas si moches (Soller, Alcudia, Palma, Pollenca), villages en vieille pierre perchés dans la montagne, corps de ferme parfaitement préservées, on en prend chaque jour plein les yeux. Seul bémol, le monastère de Lluc, un bloc sans charme qui m’a rappelé, en moins massif, celui de Montserrat. Deux ans plus tard, je dressera le même constat dans le Pays basque. Les catholiques espagnols font pâle figure dans ce domaine en comparaison des orthodoxes !

Avec le recul, je ne déconseille ce type de trek hivernal qu’à ceux qui peinent à occuper leurs nuits. Les autres concluront sans doute comme moi que c’est une marche jouissive, comme l’aura été celle, pourtant bien différente, effectuée dans la foulée à Minorque.